Rapport Stora : peut-on se réconcilier avec le mal ?
Dans un rapport récemment remis au président de la République, l’historien Benjamin Stora propose ses pistes pour une réconciliation des mémoires françaises et algériennes, déchirées depuis des décennies par les atrocités de la guerre d’Algérie. Selon l’historien, contre l’oubli volontaire des bourreaux et les excès mémoriels des victimes, l’essentiel est de revenir aux « faits précis » – c’est-à-dire de s’inscrire, de part et d’autre, dans une quête de vérité. Seule la mémoire peut pacifier. Essayer de se mettre d’accord sur les faits, n’est-ce pas déjà, cependant, oublier quelque chose de la déchirure irréductible qu’engendre le mal ?
La mémoire des faits
La mémoire permet-elle la réconciliation ? La réponse semble, à première vue, aller de soi : pas de réconciliation sans reconnaissance des torts, des fautes, des responsabilités. Une victime ne pourrait sans doute pas se réconcilier avec un bourreau qui refuserait d’admettre le mal qu’il a commis en tant que mal, de se considérer comme coupable. Nier les faits nourrit la haine et la rancœur. S’entendre sur ce qui a eu lieu ; accepter, du moins, de reconnaître l’exigence commune de faire la vérité (car, dans le cas d’une guerre comme celle entre la France et l’Algérie, les responsabilités sont complexes et entremêlées) est, en ce sens, le premier geste de reconstitution d’un commun là où le lien entre victime et bourreau était rompu. Il s’agit, comme l’écrit Benjamin Stora, de dépasser « les guerres sans fin de mémoires […] Ce mouvement vers la réconciliation ouvre sur la possibilité du passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune. […] Il importe surtout de poursuivre la connaissance de ce que fut le système colonial, sa réalité quotidienne et ses visées idéologiques, les résistances algériennes et françaises à ce système de domination. » Comprendre, en somme, la complexité du passé.
Le rapport Stora insiste, ainsi, sur le pouvoir pacificateur de la « connaissance » : il est question de « compréhension de [son] propre passé », de « travail de vérité », de « mettre en avant des faits précis ». Des faits plutôt que des affects. Écrire l’histoire doit être une manière d’en apaiser la douleur, de mettre à distance la vengeance et la culpabilité, d’échapper à l’enfermement en soi-même (de la victime comme du bourreau). Pas de repentance, donc – pas d’expiation, pas de rédemption. « Les excès d’une culture de repentance […] ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé », précise ainsi Stora, qui rejette, fermement, ce vocabulaire issu d’une théologie chrétienne dont on comprend bien qu’elle n’a pas tellement sa place dans l’affaire. Se repentir sans fin reviendrait, pour le bourreau, à se complaire dans la contrition et, pour la victime, à s’enfermer dans sa douleur. Stora s’efforce de dépasser la « nostalgie », la « léthargie de ce qui ne change jamais », de trouver une issue à cette « guerre sans fin ».
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