Raphaël Imbert. “Ce qui a sauvé John Coltrane peut nous aider à traverser l’expérience du confinement”

L’écoute et la pratique de la musique ont explosé pendant le confinement, et les préférences du public ont aussi évolué. Alors que les plateformes d’écoute de musique commerciale ont chuté de près de 20 %, les plateformes dédiées à des contenus dits « de niche », comme le jazz ou le classique, ont vu leur audience progresser de plus de 40 %. Que vous inspirent ces évolutions ? 

Raphaël Imbert : Cela m’a d’autant plus intrigué que nous sommes, dans le monde musical et artistique, dans une très grande inquiétude : tous les concerts, festivals et enregistrements programmés ont été annulés pour une période indéterminée, et certains artistes craignent pour leur avenir. Apprendre dans ce climat que la demande du public pour une musique plus exigeante progresse est rassérénant. Bob Dylan, qui n’avait pas fait de morceau depuis longtemps, s’est ainsi retrouvé en tête des meilleures ventes digitales avec un nouveau titre, Murder Most Foul, qui dure près de dix-sept minutes… À y regarder de plus près, cela n’a rien d’étonnant. Pourquoi les gens changent d’écoute ? Parce que leur temps est différent. Avec le confinement, nous n’avons pas nécessairement plus de temps – ceux qui travaillent à domicile ont même le sentiment de travailler davantage. Mais nous vivons dans un nouvel espace-temps. Et nous cherchons à écouter ce que nous avons réellement envie d’entendre ou à découvrir des choses nouvelles. En dépit du drame que constitue cette pandémie, je crois donc que nous vivons un moment unique et positif dans notre rapport à la musique, qui tient essentiellement au rapport au temps. Le confinement nous procure du temps. Or la musique est ce qui permet de faire quelque chose de ce temps. 

En tant que musicien, est-ce que le confinement vous a permis de vivre autrement votre rapport au temps ? 

Même si je dois me rendre parfois au Conservatoire de Marseille, que l’on surveille en alternance, je suis essentiellement chez moi. Tous mes concerts ont été annulés. Mon agenda est devenu vide. Je suis privé de cette liberté de circulation qui est celle des artistes qui se produisent un peu partout sur le territoire. Cependant, comme un certain nombre de mes camarades avec qui j’ai pu échanger, nous avons vécu cette expérience comme une occasion unique, au-delà du traumatisme : on rêvait tous d’avoir un moment où l’on pourrait enfin mettre entre parenthèses nos engagements pour nous concentrer uniquement sur notre travail. Et, tout d’un coup, cela nous était imposé. Comme les autres, j’en ai donc profité. En pratiquant mon instrument, bien sûr, mais surtout en composant. Je n’ai jamais autant composé que pendant cette période. Au-delà de ma petite personne, je crois que le confinement, qui va faire des ravages dans l’économie de la création, aura un effet sur les œuvres qui vont être produites. Elles ne seront plus assujetties au rythme des tournées, des festivals, des promotions, mais au seul désir de chacun de composer. Dans l’histoire de la culture moderne, il ne me semble pas y avoir de situation comparable, en dehors des périodes de guerre. Et de ce que je vois déjà apparaître, sur Internet notamment, je suis convaincu que la production musicale va être marquée par cette expérience.