Quill R. Kukla : “J’invite à prendre soin de la fin de nos relations sexuelles et amoureuses”
Pourquoi qualifions-nous une relation de ratée simplement parce qu’elle se termine ? Moins de 50% des mariages perdurent jusqu’au décès de l’un des époux – et si vous faites partie de cette catégorie-là, il est très probable que vous ayez eu des liaisons amoureuses antérieures à votre union civile… Quill R. Kukla, professeur de philosophie à l’université de Georgetown, aux États-Unis, nous propose de repenser la chronologie des relations : sauter le « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » pour accepter l’inévitable « Fin ». Selon Kukla, les histoires d’amour sont des expériences qui connaissent un début, un milieu et une fin. Les histoires finissent, point final.
Comment vous êtes-vous intéressée au langage de la communication sexuelle ?
Quill R. Kukla : Les débats sur le langage du consentement dominent les réflexions philosophiques. Les spécialistes en questions éthiques et les philosophes du langage sont obnubilés par l’accord et le refus dans l’acte de langage : à savoir l’abus d’un partenaire, le rapport sexuel forcé et, bien sûr, le viol. De ce fait, notre conception de l’agentivité sexuelle en est déformée, et limitée. Je me suis donc intéressée à la parole avant, durant et après le rapport sexuel. Dans l’un de mes travaux, That’s What She Said: The Language of Sexual Negotiation (2018), j’examine les négociations au sein des expériences sexuelles. Nous utilisons la parole pour répondre à de nombreuses questions : voulons-nous avoir un rapport sexuel ? Quels genres de rapports désirons-nous ? Quelles activités comprennent-ils ? Qu’est-ce qu’on aime et qu’est-ce qu’on n’aime pas ? Quelles sont nos limites et nos contraintes ? À quel moment voudrait-on que ça s’arrête ? Le langage permet de traduire une curiosité, une répulsion, d’établir un intérêt, un désintérêt, et il stimule l’excitation tout au long de l’intimité sexuelle. Mais le langage, au-delà du consentement, est absent dans beaucoup de relations, sauf au sein des communautés polyamoureuses et « déviantes » (« kink »).
“Une relation qui s’achève induit une conception négative du rapport passé”
En quoi ces communautés constituent-elles une exception ?
Dans de tels contextes, il est clairement établi qu’une négociation explicite et prudente doit avoir lieu entre les partenaires. Non seulement sur le fait d’engager un rapport sexuel, mais également au sujet de la forme même de la relation : comment l’initier et s’en extraire. Ces conversations sont indispensables pour une expérience sans danger, plaisante, consensuelle et pour explorer ses propres désirs. Dans les interactions BDSM (acronyme de « bondage [et discipline], domination [et soumission], sado-masochisme »), par exemple, les participants se mettent généralement d’accord pour établir un vocabulaire « d’arrêt d’urgence » (« safe words ») préalable à toute activité de nature sexuelle, afin de pouvoir faire cesser un rapport séance tenante, immédiatement et sans besoin d’argumenter, lorsque certains mots sont prononcés. Le langage permet un contrôle sur le déroulement du rapport.
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