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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Jan Davidszoon de Heem, “La Desserte”, 1640. Huile sur toile, 149 x 203 cm. Paris, musée du Louvre, département des peintures. © RMN – Grand Palais (musée du Louvre)/Franck Raux

Exposition

Qu’est-ce qu’une chose ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 18 décembre 2022 22 min

Le musée du Louvre organise jusqu’en janvier une grande exposition consacrée aux « choses », en particulier à la nature morte. L’occasion d’une réflexion sur ce drôle de mot, à la fois banal et vague, qui semble pouvoir désigner tout et son contraire.

 

Qu’est-ce qu’une chose ? La question, esquissée actuellement dans la grande exposition du Louvre consacré à la nature morte, a de quoi déconcerter. De prime abord, les choses tombent sous le sens, sous les sens : elles nous environnent quotidiennement, à chaque instant, dans toute leur diversité. Mais précisément, ce qu’il y a de commun entre toutes ces choses – leur « essence » – nous échappe. « C’est la chose, dans sa modeste insignifiance, qui est la plus rebelle à la pensée », écrit Martin Heidegger dans sa conférence L’Origine de l’œuvre d’art (1935-1936). L’étendue même de ce que nous qualifions de chose semble pouvoir se dilater indéfiniment à la totalité de ce qui est, sans plus guère de précision – accumulation débordante qu’illustre, par exemple, Un Dessert de Jan Davidszoon de Heem (1640). La magnifique exposition organisée au Louvre perd, justement, quelque peu son visiteur dans cet amoncellement de beauté… Elle ne lui fournit pas, en tout cas, un fil rouge solide auquel se raccrocher au cours de ses pérégrinations dans les allées du musée, sinon un ordonnancement historique.

Nous vous proposons un autre cheminement qui, aiguillonné par quelques-unes des œuvres exposées, suit celui de Martin Heidegger auprès des choses, qu’il n’a cessé d’interroger au fil de son travail intellectuel.

Les trois sens de la chose

Comme le note le philosophe allemand dans un autre cours, Qu’est-ce qu’une chose ? (1935-1936), on peut entendre le mot en au moins trois sens.

  • « Au sens étroit, “chose” signifie ce qui est saisissable, ce qui est visible, etc., ce qui est donné à portée de main », c’est-à-dire : « Un morceau de bois, une pierre, un couteau, une montre, un ballon, un javelot, une vis ou un fil de fer, […] le grand hall d’une gare, ou encore un sapin géant ; […] les herbes et les plantes, les papillons et les scarabées », bref, tout ce qui relève d’un « état de fait » (« matter of fact »). De ces choses, ou représentation de choses prises en ce sens restreint, l’exposition au Louvre regorge tout naturellement.
  • « En un sens plus large, “chose” signifie toute affaire, tout ce dont il en va de telle ou telle manière, les choses qui adviennent dans le “monde”, les faits, les événements » : « Les plans, les résolutions, les réflexions, les mentalités, les actions, l’historique. » Heidegger développe, pour bien faire comprendre cette deuxième dimension de la chose au sens très large de « sujet de préoccupation » (« matter of concern ») : « Lorsque par exemple une trahison se trame quelque part, nous disons pourtant : “Il se passe là des choses étranges.” Nous ne pensons ni à des morceaux de bois, ni à des choses d’utilité, ni à rien de semblable. […] Il en va de même lorsque nous pensons que les choses ne marchent pas comme il faudrait. » La chose, en ce sens, est ce qui nous met en cause, nous sollicite, nous engage. Et Heidegger de remarquer que le mot allemand pour chose, Ding, « est l’équivalent de thing qui signifiait : débat judiciaire, débat en général, affaire » à l’origine. (L’Althing est d’ailleurs encore aujourd’hui le nom du parlement islandais, du lieu où les choses sont débattues). La chose nous réunit, comme une table autour de laquelle convergent différentes positions, différents points de vue rassemblés – comme les Six Coquillages sur table de pierre d’Adriaen Coorte (1696). Le latin res, « chose », que l’on retrouve dans Res publica, « république, chose commune », de même, « signifie ce qui concerne l’homme : l’affaire, le litige, le cas. […] Dans le même sens, les Romains emploient aussi le mot causa, qui, à proprement parler et en premier lieu, ne veut aucunement dire “cause” », et qui a donné le français chose. De ces choses, beaucoup plus difficilement présentables, il n’est pas vraiment question au Louvre.
  • Dernière signification, la plus large : « Tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, est un quelque chose et n’est pas rien », tout « étant ». Difficile de faire plus hétéroclite – c’est souvent cet hétéroclite, ce disparate, que peint la nature morte.

La choséité insaisissable de la chose

Difficile, dans ces conditions, de dire vraiment ce qu’il en est de la « choséité » (« Dingheit ») ou du « chosifier » (« dingen ») de la chose, qui a tout l’air d’une notion fourre-tout. C’est à vrai dire un peu le sentiment que l’on éprouve en sortant de l’exposition du Louvre, certes superbe mais qui perd quelque peu son visiteur, donc, dans un parcours historique où certains motifs se répètent, d’une époque l’autre, sans fil directeur précis. La question de choséité de la chose semble vouée à se diluer dans une réflexion au plus haut point générale, et extrêmement abstraite, sur le sens même de l’être lui-même. Pourtant, rien n’est plus concret que les choses, qui sont le concret même. Mais – et c’est tout l’enjeu – leur choséité elle-même ne tombe aucunement sous le sens : « Nous n’interrogeons point vers une chose de telle ou telle espèce, mais vers la choséité de la chose. Cette choséité, qui fait de la chose une chose, qui la détermine [be-dingt], ne peut être à son tour une chose, c’est-à-dire un conditionné [ein Bedingtes]. La choséité doit être un inconditionné [ein Unbedingtes]. » Heidegger parlera encore d’un « non-apparaître de la chose comme chose ». C’est, précisément, la raison pour laquelle elle nous échappe : « La “choséité” de la chose demeure en retrait, oubliée. L’être de la chose n’apparaît jamais, c’est-à-dire qu’il n’en est jamais question. »

C’est pourtant à cette méditation, apparemment paradoxale, de l’essence de la chose que revient sans cesse l’œuvre de Heidegger. C’est à vrai dire, déjà, le mot d’ordre d’Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie et premier maître de Heidegger : zu den Sachen selbst [zurückkommen], « [retourner] aux choses mêmes ». On remarquera cependant que le mot n’est pas le même – Sache, Ding. Ce n’est pas un hasard : tout l’enjeu du travail du jeune Heidegger consiste précisément en une mise en cause du cheminement husserlien vers la chose. Pour le dire de manière rapide : Husserl s’efforce de remonter de « l’attitude naturelle » où les choses se manifestent à un sujet intéressé, préoccupé, affairé, vers une attitude « théorétique », proprement phénoménologique, où la chose se dépouille de ces strates de sens surajoutées par la vie quotidienne et est appréhendée en elle-même, dans son pur apparaître à la conscience. Précisément, considèrera Heidegger : cette réduction, qui s’affranchit du monde de la vie et fait de la conscience un pôle purement spéculaire ne donne aucunement accès aux choses, mais à des objets. L’ob-jet est littéralement « jeté là-devant » dans une « présence qui fait face » (Vorhandensein) ; il est une « représentation » (Vorstellung) isolée et décontextualisée qui recouvre, en quelque sorte, la chose. L’objet ne me met pas en cause, ne n’implique pas en tant que sujet incarné et situé, en tant que Dasein, « être-là » : il est à disposition du sujet.

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