Quand l’Action française récupère Thomas d’Aquin

Aristote et Thomas d’Aquin étaient au programme du colloque organisé le 13 mai par l’Action française. Des références qui, si elles étonnent de prime abord, font en réalité partie du répertoire intellectuel du mouvement royaliste fondé en 1899 par Charles Maurras.

« La pensée d’Aristote et de Thomas d’Aquin » : tel était le programme du colloque « La France en danger » de l’Action française qui s’est tenu le 13 mai à l’espace Charenton, dans le 12^e arrondissement de Paris. L’événement avait dans un premier temps été interdit par le préfet de police Laurent Nuñez. Celui-ci justifiait en ces termes la décision : « Les thématiques abordées au cours de ce colloque sont susceptibles de générer des propos de nature à mettre en cause les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et par la tradition républicaine, mais également à inciter à la haine et à la discrimination. » La décision a finalement été annulée par le juge des référés. Et les membres du mouvement royaliste ont donc pu assister à des échanges autour de l’un des plus grands philosophes et de l’un des plus grands théologiens de l’histoire occidentale. Un programme bien policé pour un mouvement d’extrême droite connu pour son histoire violente.

Maurras, Aristote et Thomas d’Aquin

La double référence, à bien y regarder, n’est pas si étonnante. L’association d’Aristote et de Thomas d’Aquin, en tout cas, est absolument naturelle tant le travail théologico-philosophique du second s’apparente, dans la lignée de la scolastique médiévale, à une relecture incessante des traités du premier. Faire référence au « docteur angélique », c’est immédiatement, du point de vue de l’histoire des idées, faire référence au Stagirite. Or, dès l’origine, en la personne de son fondateur Charles Maurras (1868-1952), l’Action française revendiqua ce double héritage.

Agnostiques dans sa jeunesse, Maurras se rapproche progressivement des milieux catholiques. Son engagement antidreyfusard contribue à faire de lui l’une des principales figures de l’extrême droite française. Promoteur d’une restauration monarchique et d’un nationalisme intégral, il affiche par ailleurs des positions antisémites, antiprotestantes, antimaçonniques et xénophobes. Également germanophobe, il soutiendra cependant le régime de Révolution nationale de Pétain, et sera arrêté à la Libération. Ses conceptions continuent d’exercer une influence dans certaines branches de l’extrême droite française. Développée sur un mode quasi géométrique, sa conception du politique s’inspire en particulier de Thomas d’Aquin. Sans doute « Maurras n’a jamais prétendu au titre de thomiste, pas plus qu’à celui d’historien ou de philosophe, et sa connaissance du thomisme demeure sans profondeur », note Jacques Prévotat dans Les Catholiques et l’Action française (Fayard, 2001). Mais la lecture de Thomas d’Aquin, à laquelle Maurras revint souvent, le marqua profondément dès sa prime jeunesse. « Ce fut mon illumination ! Cette logique ! Cette critique ! Cette égale sérénité dans la rigueur et la prudence ! » Concepteur d’un nationalisme scientifique, rationalisé, Charles Maurras y reconnaît sans doute la méthode qu’il entendra suivre. « C’est pourquoi je m’attachais à cette science rugueuse et, peut-être aussi un peu trop, à ce vocabulaire pour ce qu’il avait de net, d’aride et de nu. Cela me valut au moins d’être recalé au baccalauréat », raconte-t-il dans une lettre. Il trouvera un même intérêt chez Aristote : « J’avais surtout goûté la dure clarté d’Aristote, l’invariable refus de réduire le Tout à l’Un, son besoin constant, résolu, de dualités », écrira-t-il dans Au signe de Flore (1931). « La philosophie d’Aristote, qui n’a pas le charme presque sensuel de Platon, est peut-être plus utile pour la vie : elle est pratique, portative, et, comme disent les artilleurs, rustique, elle s’adapte merveilleusement aux besoins vivants de l’esprit et de l’âme. » Mais c’est à Thomas d’Aquin qu’il reviendra le plus souvent. C’est à lui, notamment, qu’il consacre sa première conférence au collège du Sacré-Cœur, dans les années 1880.