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Stade Bollaert, Lens (62), le 3 octobre 2023. Les supporters du club de football de Lens lors du match aller entre le RC Lens et l’Arsenal FC. © Sameer Al-Doumy/AFP

Quotidien

Pourquoi les chants des foules nous donnent-ils tant de frissons ?

Clara Degiovanni publié le 13 octobre 2023 4 min

Récemment, deux stades ont vibré avec une puissance magistrale : le Stade de France pendant la Coupe du monde de rugby, avec la chanson Zombie des Cranberries, et le stade Bollaert, qui a tremblé avec les célèbres Corons de Pierre Bachelet lors du match de football Lens-Arsenal. Comment expliquer que nous soyons si remués par le chant des foules ? Réponse avec Durkheim, Proust et Rousseau.


 

Une vague, une décharge électrique, une avalanche. Les métaphores ne manquent pas pour exprimer la puissance lyrique qui saisit une foule lorsqu’elle entonne de concert un chant partisan. Charles Péguy, dans un article écrit en 1900, raconte sa participation fervente à une manifestation consacrée au monument Le Triomphe de la République, érigé place de la Nation à Paris. Le chant révolutionnaire L’Internationale, « largement, immensément chantée, s’épandait comme un flot formidable », raconte-t-il. Pour l’écrivain et poète, ces refrains collectifs sont toujours « singulièrement et fiévreusement, rougement ardents ».

De l’électricité contrôlée

Si la foule devient soudainement si exaltée par ses chants, c’est d’abord parce qu’elle est habitée par « une sorte d’électricité qui [la] transporte vite à un degré extraordinaire », décrit le sociologue Émile Durkheim dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912). Or, cette électricité est contagieuse. Elle se diffuse, de proche en proche, à la foule entière, « s’amplifiant à mesure qu’elle se répercute, comme une avalanche grossit à mesure qu’elle avance ».

Mais petit à petit, ce déchaînement de passion se transforme en mélodie, en rythme, en souffle collectif. Il s’harmonise et s’organise. « Sans doute parce qu’un sentiment collectif ne peut s’exprimer collectivement qu’à condition d’observer un certain ordre qui permette le concert et les mouvements d’ensemble, ces gestes et ces cris tendent d’eux-mêmes à se rythmer et à se régulariser », analyse le sociologue. Paradoxalement donc, l’émotion ne vient pas tant de la folie d’une passion collective que de l’étonnante discipline adoptée par la masse lorsqu’elle se met à chanter.

De la mémoire enfouie

Si la foule est si unie, si étonnamment liée, c’est parce que tout chant collectif est une manière de relier le groupe à l’individu. Dans Connemara (2022) l’écrivain Nicolas Mathieu raconte la puissance cathartique de la très populaire – quoique récemment décriée – chanson de Michel Sardou, qui a inspiré le titre de son roman. Lorsque celle-ci retentit, à un mariage, tous les invités se mettent « à sauter et à faire la ronde » dans un élan « archaïque ». Sous la plume de l’écrivain, cette ronde tribale est une manière de scander en chœur un destin commun, « une épopée moyenne » : celle des « campagnes et des pavillons ». Chaque membre y expulse « cette vie avec ses équilibres désespérants » et ses « lundis à n’en plus finir », éclairés par quelques bonheurs universels comme « la plage » ou « un enfant ». Tout cela, conclut Nicolas Mathieu « on le savait d’instinct, aux premières notes, parce qu’on l’avait entendue mille fois cette chanson ».

En un seul instant partagé, les chants collectifs parviennent à entrecroiser et à sédimenter des milliers d’histoires et de destinées. Une personne qui chante avec la foule peut confusément songer à son équipe préférée, tout en se livrant secrètement à une méditation sur sa vie actuelle, sur ses amis, ses amants, mais aussi sur ses dilemmes moraux actuels et ses souffrances. Un chant groupé, qu’importe les paroles, peut donc évoquer conjointement le sport, la nation, ou l’amour. Marcel Proust, à l’occasion d’un étonnant éloge de la « mauvaise musique » pour son recueil de poème en prose Les Plaisirs et les Jours (1896), souligne que les tubes populaires, décriés par la culture bourgeoise, sont particulièrement propices à accueillir ce genre de mémoires collectives. Telle « ritournelle », dit-il, reçoit « le trésor de milliers d’âmes, garde le secret de milliers de vies, dont elle fut l’inspiration vivante, la consolation toujours prête, toujours entrouverte sur le pupitre du piano, la grâce rêveuse et l’idéal ».

De la puissance politique

« Les premiers discours furent les premières chansons », écrit Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues (publié à titre posthume en 1781). Dans ce texte, le philosophe imagine que les premiers humains auraient commencé à parler… en chantant. « Les premières histoires », mais aussi « les premières harangues » et même « les premières lois » auraient donc été des vers mélodieux. Si pour le penseur, les chants sont dotés d’une telle puissance politique, c’est parce qu’ils sont les seuls à parvenir à imiter « les inflexions de la voix » et à exprimer « les plaintes, les cris de douleur ou de joie, les menaces, les gémissements » des uns et des autres. Un chant parle un « langage […] vif, ardent, passionné » et a de ce fait « cent fois plus d’énergie que la parole même ». « Voilà, conclut Rousseau, d’où naît l’empire du chant sur les cœurs sensibles. »

Mais le chant de la foule n’est rarement qu’une douce émanation de la sensibilité de chacun. Il y a souvent de l’audace, de l’irrévérence, voire de la folie dans les chansons collectives. « On improvisait de nouvelles paroles », se souvient Péguy lorsqu’il relate la manifestation de 1900. Alors que l’affaire Dreyfus fait encore rage, la foule s’est par exemple mise à scander « au bagne, Mercier, au bagne », dénonçant le ministre de la Guerre qui avait accusé à tort l’officier Alfred Dreyfus comme coupable. Ce « nouveau chant » était d’autant « plus volontaire, plus précis, plus redoutable » qu’il avait été « inventé sur-le-champ », se souvient-il. Dans cet acte de co-création, la forme sonore vient nourrir la force du message : « Le mot bagne, ainsi chanté, avec rage, résonne extraordinairement dans la mâchoire et dans les tempes », note l’écrivain. Ainsi, le chant jouit-il d’une puissance non seulement politique mais aussi proprement révolutionnaire. C’est en commençant par faire trembler un stade et frissonner une foule que l’on peut faire vaciller tout un monde.

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