Pourquoi la nouvelle campagne sur la laïcité fait-elle tant réagir ?
« Permettre à Sacha et Neissa d’être dans le même bain » ; « permettre à Inès, Lenny, Simon et Ava d’être ensemble » ; « permettre à Eva et Kelijah d’être inséparables tout en étant différents »… Quel est le problème de la dernière campagne d’affichage de l’Éducation nationale promouvant la laïcité, jugée par certains acteurs de l’éducation « dangereuse », « hallucinante », et « scandaleuse » ? Quel mal y a-t-il à dire qu’au regard de la République, un musulman, un catholique, un Juif ou un bouddhiste ne sont pas différents, qu’ils sont « [égaux] en tout », qu’ils peuvent vivre en harmonie ? Tout le monde, ou presque, s’accordera sur ce point. Mais le problème n’est pas là, précisément. Éclairage avec Jean Jaurès et Paul Ricœur.
Fait ou choix : la religion est-elle une assignation ?
L’un des premiers problèmes de cette campagne, comme l’a fait remarquer l’éditeur Johan Faerber sur Twitter, c’est d’abord de considérer des prénoms – Neissa, Imrane, Ismaïl, etc. – comme des « marqueurs religieux ». En effet, la campagne incriminée ne nomme aucune religion, comme pour souligner que celles-ci n’ont pas leur place dans l’école de la République. Mais quel est l’effet produit ? Nous sommes incités à penser, implicitement, que Simon est bien entendu Juif, Imrane musulmane, Axelle chrétienne et ainsi de suite. De ce point de vue, l’on pourrait dire que nous sommes directement incités à l’amalgame ; en l’occurrence, à juger d’une religion à partir d’un prénom (ou une couleur de peau). Le parti pris initial de cette opération de communication gouvernementale est donc passablement malheureux, dans le sens où il suggère que la religion est une assignation, héritée à la naissance (dès que l’individu est nommé), déterminée par la culture de la famille où l’on vient au monde, par l’origine. Tout en promouvant la coexistence pacifique des différences religieuses, les affiches sous-entendent que cette différence est un fait, lequel définit en creux, au sein de la communauté nationale, des groupes distincts. Un fait, et non un choix. Jean-Michel Blanquer s’en est, évidemment, défendu : « Cette campagne est faite pour unir ». Un point pour le moins discutable.
Égalité ou autonomie : qu’est-ce qu’une foi libre ?
Les promoteurs historiques de la laïcité, ceux qui ont œuvré, sous la Troisième République, pour la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905), considéraient précisément que la laïcité ne signifie pas une simple égalité de traitement des religions ; elle doit surtout permettre à chaque individu de s’affranchir, de s’émanciper de l’héritage qui lui est donné par la naissance, et de déterminer, de manière autonome, sa voie spirituelle – selon le principe indissociable de « liberté de conscience », qui, comme le rappelle la Déclaration universelle des droits de l’homme, « implique la liberté de changer de religion ou de conviction ». Ce que rappelle avec force Jean Jaurès dans L’Éducation de laïcité (1904) : « La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant. » La laïcité doit garantir « le droit de la personne humaine à choisir et à affirmer librement sa croyance, quelle qu’elle soit, l’autonomie inviolable de la conscience et de l’esprit ».
Abstention ou confrontation : que faire de nos croyances ?
Toute la question de la laïcité, dans cette ligne, consiste à déterminer de quelle manière un individu peut exercer sa liberté de conscience. La campagne d’affichage paraît apporter une réponse on ne peut plus claire : de la religion, il n’est pas question de parler, de peur que la foi de chacun ne se mue en prosélytisme et envahisse l’espace commun. Est-ce vraiment la bonne solution ? De la part de l’État et de ses représentants, sans doute. Comme le notait Paul Ricœur, la puissance publique est astreinte à un « agnosticisme institutionnel », à une neutralité « d’abstention ». Mais les élèves ? Si l’objectif est leur émancipation, il serait peut-être pertinent de les laisser exprimer leurs croyances, de les discuter – et de les questionner. Ricœur appelait à une « laïcité dynamique, active, polémique, dont l’esprit est lié à celui de discussion publique », une « laïcité de confrontation ». Sans ce passage par la parole, les convictions ne peuvent devenir une foi active, assumée, réfléchie et ouverte. Elle reste un héritage passif, rigide, identitaire, sur lequel l’individu n’a pas de prise. Pour que les « différends non solubles » des croyances n’empêchent pas la coexistence pacifique, il paraît préférable à Ricœur d’exprimer ce différend… plutôt que de faire comme s’il n’existait pas.
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