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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Le glacier des Deux Alpes. © Estelle Zanardi/Le Dauphiné/Maxppp

Pourquoi je vais encore au ski

Martin Legros publié le 06 mars 2023 4 min

Martin Legros vient de passer une semaine au ski en famille. À l’heure de la crise sociale et climatique, on se sent mis en demeure, par ses propres scrupules autant que par l’esprit du temps, de justifier un tel choix de vacances. Notre rédacteur en chef s’y emploie en vous livrant ce qui lui semble constituer trois bonnes raisons, pour ceux qui y sont accros, de ne pas y renoncer…

 

« Je suis donc parti une semaine avec mes enfants, ma sœur et mon neveu dans les Alpes du Nord, pour skier. Je n’y étais plus allé depuis longtemps, et je dois dire que cela m’a complètement régénéré. Rien de moins évident, pourtant. Et je comprends très bien l’étonnement sinon la consternation des personnes qui n’auraient aucun attrait pour le ski et qui observeraient cette pratique du dehors, comme des ethnologues. Que verraient-ils ? Des individus qui dilapident une part substantielle de leur temps et de leur argent à se préparer à une satisfaction future incertaine, brève et parfois douloureuse tout en mobilisant une infrastructure technique colossale, faite de réseaux électriques, de routes, de câbles, de bâtiments en tout genre qui permettent aux skieurs de combler leur désir de glisse… et abîment méchamment l’environnement. Avant de se retrouver en haut des pistes, il faut en effet : prendre la voiture, le train ou le bus, monter en station, trouver un logement, acheter un forfait onéreux, se vêtir de pied en cap d’une tenue hors du commun, louer ou acheter skis, chaussures et bâtons, et se déplacer avec ce matériel inconfortable au prix de contorsions infinies sur un sol verglacé vers les remontées, où l’on risque de se trouver dans d’interminables queues en partageant une promiscuité avec des inconnus parfois peu respectueux des manières. Et pourtant, étrangement, un dispositif aussi lourd qui, pour tout autre activité, aurait fini de dégoûter ses usagers, n’a aucun effet dissuasif sur le skieur convaincu. Comment expliquer ce mystère ?

Nous interrogeant tous ensemble avec ma sœur et nos enfants, alors que le télésiège des Diables nous entraînait sur le sommet du glacier des Deux Alpes, nous en sommes arrivés, après moult discussions, à un début de réponse. D’abord, il faut bien comprendre que ce n’est pas en dépit de l’effort requis pour obtenir la satisfaction, mais grâce à cet effort que le ski capte ses fidèles. Comme dans aucune autre activité, mis à part peut-être la sexualité, il accapare en effet complètement l’énergie et l’attention, depuis les premiers instants de préparation jusqu’à la jouissance finale, très brève en réalité, de la descente. Quel que soit son niveau, le skieur tend, du fait même qu’il doit fournir un effort non négligeable pour “entrer en piste” et y rester, à oublier tous les tracas qui ne quittent pas l’esprit dans l’immense majorité des autres loisirs, qu’il s’agisse de la marche, du jogging ou de la cuisine. Le skieur doit s’oublier pour skier. Et c’est l’un des objectifs secrets qu’il cherche dans cette passion.

Au milieu de nos discussions sur le télésiège, un deuxième attrait fondamental du ski nous est apparu, susceptible d’effacer tous ses désagréments : son lien avec l’enfance. Cela explique d’ailleurs qu’il est si difficile d’entrer dans le ski si l’on n’a pas la chance d’y avoir été initié très tôt. Le skieur, si raisonnable et prudent soit-il, rejoue en effet sans cesse sur ses skis cette expérience propre à l’enfance qui consiste à dévaler une pente comme on découvre la vie, dans le risque et la joie d’être emporté par sa propre vitesse.

Enfin, en arrivant tout en haut du glacier, à 3 200 mètres d’altitude, nous avons pris la mesure de l’attrait ultime du ski, qui est à la fois esthétique et écologique. Le ski permet en effet de se livrer au plaisir irresponsable de l’accélération sur le toit du monde tout en se laissant inonder par la blancheur de la neige et le bleu éclatant du ciel. Mais à cette contemplation active de la beauté du monde se mêle aujourd’hui une mélancolie nouvelle, liée à la fragilité de la montagne. Comme nous l’a expliqué un pisteur qui passe ses journées à contempler et à préserver le glacier, celui-ci se meurt. Il fond d’année en année, de sorte qu’on ne peut plus y skier tout l’été. Et peut-être bientôt plus du tout. Mais la manière dont il nous a parlé du soin qu’il prenait avec ses équipes de ce géant de glace, en l’alimentant grâce à des “pièges à neige” notamment, pour qu’il disparaisse moins vite que prévu, nous a remués. Comme s’il nous revenait dorénavant de prendre soin de ce colosse de glace et de poudre devant lequel hier, on n’avait qu’à s’incliner. Dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764), Emmanuel Kant fait de la grandeur inamovible des glaciers de haute montagne la source d’un sentiment de terreur admirative. Même si nous ne sommes pas menacés, nous éprouvons que nous ne sommes rien face à une telle grandeur – et cela nous inspire quelque chose analogue à du respect. À l’heure du réchauffement climatique, c’est l’idée que la survie de ce mastodonte de glace dépend en partie de nous qui saisit d’effroi mais aussi de joie. Et si l’on éprouve encore et toujours le sentiment respectueux du sublime en dévalant les pentes du glacier, il se double aujourd’hui d’un sens inédit de la fragilité. Loin d’inciter à renoncer au ski, cette expérience en renforce bizarrement l’attrait. »

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