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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Réclame pour les phonographes Victor, vers 1910, d’après Francis Barraud et la publicité de Pathé “La Voix de son Maître”. Moult fois déclinée par diverses majors du disques tout au long du XXe siècle, la peinture originale de Barraud, “His Master’s Voice”, deviendra l’un des plus célèbres logotypes de l’industrie musicale. © Archives Charmet/Bridgeman

La petite question

Pourquoi déteste-t-on entendre sa propre voix ?

Clara Degiovanni publié le 15 novembre 2021 4 min

On l’entend quand on réécoute notre répondeur, nos messages vocaux, ou que l’on regarde des vidéos où nous apparaissons : notre propre voix. Trop aigüe, trop nasillarde, pas assez claire : elle a très souvent tendance à nous déplaire. Le malaise est parfois si fort que l’on refuse de l’écouter. Pourquoi a-t-on ce rapport si conflictuel avec le son de notre voix ? Qu’est-ce qui nous dérange, voire nous afflige, dans l’écoute d’un enregistrement où l’on s’entend parler ? Si l’on peut apprendre à « placer » sa voix, la rendre un peu plus grave, ralentir son débit ou au contraire lui donner une tessiture un peu plus « éveillée », on ne peut pas la transformer du tout au tout. Car la voix, dans sa fréquence, dans des tics, dans notre accentuation révèle toujours, souvent à notre corps défendant, une partie de ce que nous sommes profondément. 

 

Merleau-Ponty : on ne reconnaît jamais sa voix

On a tous déjà vécu cette scène : on s’entend parler dans un enregistrement, et on ne se reconnaît pas. Tout soudain, le sujet devient objet – phénomène déstabilisant s’il en est ! Horrifiés, on demande autour de nous : « C’est comme ça que vous m’entendez quand je parle ? C’est donc ça, ma voix ? » Hélas, bien souvent, la réponse est affirmative. Dans Le Visible et l’Invisible (1988), Maurice Merleau-Ponty explique ce phénomène : parler, c’est s’entendre de l’intérieur, entendre « sa gorge » vibrer. C’est ce qui explique la différence considérable entre « ma voix entendue » par les autres et « ma voix articulée » telle que je la perçois au quotidien. Cette théorie tirée de l’expérience est confirmée par la science. Notre voix nous est transmise par l’intermédiaire des os du crâne et de la mâchoire (c’est la voix dite « solidienne ») tandis que les autres nous entendent grâce à leurs tympans : ces deux canaux ne diffusent pas tout à fait le même son. C’est, pour commencer, un simple problème mécanique : nous entendons de l’intérieur des fréquences (en premier lieu, les basses) que les autres ont bien plus de mal à percevoir, puisque notre corps fait directement caisse de résonance pour nos propres organes auditifs. L’écoute de notre voix introduit donc en nous une forme de dualité. L’expérience est dérangeante car elle nous donne l’impression d’être constamment trompés : de ne jamais pouvoir entendre, au quotidien, le son de notre « véritable voix ».

Rousseau : notre voix dévoile nos émotions

Bredouiller, partir dans les suraigus, se mettre à chuchoter malgré soi : l’émotion a tendance à nous faire perdre le contrôle de notre voix. Dans le flot du discours, on ne s’en rend pas forcément compte. Mais il suffit de s’entendre dans un enregistrement pour percevoir tous les tressaillements et les tics verbaux qui dévoilent, bien malgré nous, notre émoi. Si la voix transmet si fortement nos émotions, c’est parce que la langue est faite avant tout pour exprimer nos passions. C’est en tout cas la thèse que propose Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues (1781). Selon lui, « ce n’est ni la faim, ni la soif, mais l’amour, la haine, la pitié, la colère, qui […] ont arraché les premières voix. » Ainsi, notre voix est-elle originellement faite pour dire – et donc parfois pour trahir ! – nos sentiments les plus profonds. C’est cette trahison qui est parfois insupportable, surtout lorsque nous voulons faire preuve de self control devant ceux qui nous écoutent. On peut certes contrôler ces élans passionnés et rendre sa voix lisse, parfaitement audible et sans aucun tremblement. Mais comme le dit si bien Rousseau, n’est-ce pas tout le charme des voix que d’être « chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques » ?

Bourdieu : notre voix découvre notre accent

Ceux qui ont un accent prononcé auront peut-être fait cette autre expérience : c’est lorsqu’on entend un enregistrement de sa voix que l’accent ressort le plus fortement. Tout se passe comme si l’on entendait notre accent pour la toute première fois, de l’extérieur. Cet étrange phénomène peut s’expliquer ainsi : nous sommes très peu habitués à entendre des accents parmi les voix enregistrées car les acteurs, les journalistes les politiciens et d’une manière générale, la majeure partie des personnalités médiatiques, utilisent ce que Pierre Bourdieu appelle « la langue officielle », considérée comme « neutre », non accentuée. L’oreille, y compris, lorsque l’on a soi-même un accent, est donc accoutumée à cette langue neutralisée. S’entendre soi-même, dans une conférence enregistrée ou lors d’une réunion peut donc faire office de révélation de son propre accent… et ce n’est pas forcement agréable. Bourdieu, devenu professeur et conférencier, ressentait son accent occitan « comme affreux ». Le mot est fort : à la hauteur, sans doute, de la « violence symbolique » qui consiste à vouloir à tout prix de le « corriger ». Mais le sociologue a fini par changer, petit à petit, son rapport à l’accent. Dans son Esquisse pour une auto analyse (2004), il explique qu’aimer son accent revient à chérir ceux qui nous l’ont transmis : « Les amis d’enfance, les parents ». La mélodie de notre voix recèle aussi ce dont nous avons hérité.

« L’accent, c’est toute une partie de moi qui m’est rendue », écrit Bourdieu. Écouter notre voix revient finalement à rencontrer cette partie de nous-même. L’enregistrement, qui nous expose la manière dont on sonne à l’oreille des autres, nous indique aussi qui nous sommes au quotidien. Le timbre de notre voix, l’accent et les émotions qui la traversent sont des choses dont nous n’avons pas conscience et sur lesquelles nous n’avons que peu de prise. Là où je peux choisir de figer artificiellement une certaine expression (à mon sens flatteuse – mais peut-être uniquement à mes yeux ?) de moi sur une photo ou dans le miroir, ma voix, par nature en mouvement, est difficilement contrôlable. Elle est, donc selon Merleau-Ponty chevillée à mon être dans ce qu’il a de plus authentique, liée à « la masse de ma vie », « à ma chair » : elle mérite peut être, à ce titre, d’être chérie. Ce que les chanteurs et autres professionnels de la voix ont bien compris, eux qui n’hésitent parfois pas… à l’assurer.

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