Pourquoi aime-t-on faire des listes ?

Pour hiérarchiser ses désirs/Épictète (50-135)

Le philosophe stoïcien avait le goût des choses ordonnées. Dans son Manuel, un ouvrage compilé par l’un de ses élèves, il propose de mettre à plat nos désirs pour ne garder que les bons. Une fois posés, les désirs heureux seront ceux qui ne dépendent que de nous, comme la bonne conduite ou l’activité de l’esprit. Les mauvais désirs apparaîtront alors : « ce sont le corps, les biens, la réputation, les dignités : en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre ». Alors, dit-il, ne suivez que les premiers et vous serez libres. Quand on couche la longue liste des actions à accomplir, n’est-ce pas aussi l’occasion stoïcienne de reconnaître les bonnes ?

Pour avoir les idées claires/Descartes (1596-1650)

Une toute nouvelle mission vous incombe et elle s’annonce complexe. Le bon réflexe à adopter ? La décomposer en une liste de petites choses à faire, une série de sous-tâches qui, prises séparément, paraissent simples et accessibles. C’est leur réalisation successive qui, comme par magie, viendra à bout du projet difficile. Descartes expose cette idée dans le Discours de la méthode. Voulant fonder la connaissance sur des bases solides, il se donne une tâche : « Diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. » Ainsi, une recette de cuisine est presque… un exercice cartésien.

Pour ordonner le monde/Nietzsche (1844-1900)

Parfois, la semaine à venir s’annonce comme un bazar de tâches hétéroclites. Régler un problème d’assurance, ne pas oublier cet e-mail, faire réparer sa voiture… L’ensemble constitue une totalité d’autant moins rassurante qu’elle est très confuse et indistincte. Ce tourbillon nous angoisse, et il faut le clarifier : nous lui donnons donc une forme, par écrit. Dans La Naissance de la tragédie, Nietzsche regrette cet inconfort à vivre avec le désordre, « ensemble si confus et disparate qu’un esprit réfléchi en devrait être choqué ». L’esprit réfléchi que Nietzsche juge ironiquement, c’est nous qui faisons des listes pour ne plus avoir à supporter le chaos du monde.

Pour ne pas oublier/Bergson (1859-1941)

Qui n’a jamais noté sa liste de courses ou résumé ce qu’il doit dire ? Des mots clés griffonnés sur un bout de papier pour nous guider dans les rayons du supermarché ou dans l’ordre du discours, au cas où l’esprit ferait défaut. Henri Bergson le rappelle dans Matière et Mémoire, la mémoire est dilettante. Les souvenirs qui nous échappent sont « arbitrairement et même capricieusement choisis ». Et ils sont absents, certes, mais n’ont pas disparu. Un indice suffira : « Il nous arrive, ayant retenu l’initiale d’un nom oublié, de retrouver le nom à force de prononcer l’initiale. » La liste a donc ce rôle essentiel : sans elle, comment actualiser nos souvenirs enfouis ?