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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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L'exécution de Husayn ibn Mansûr Hallâj devant les portes de Bagdad en 922, d'après le “Tarjuma-i Thawāqib-i manāqib”, de Darvish Mahmud Mesnevi Khan. Bagdad (Empire ottoman), vers 1590. © Wikimedia Commons

“Falsafa” à l’Institut du monde arabe

Pierre Lory : “L’expérience soufie est celle d’un anéantissement en Dieu”

Pierre Lory, propos recueillis par Ariane Nicolas publié le 05 février 2024 6 min

« Falsafa, les rendez-vous de la philosophie arabe » : le cycle sur la philosophie dans le monde arabo-musulman se poursuit à l’Institut du monde arabe, à Paris. Mardi 6 février, Pierre Lory animera à 19h la conférence « Hâllaj : dans la mystique, qui parle et à qui ? ». L’islamologue nous raconte, en amont, qui était ce prêcheur né au IXe siècle et quelle place occupe le soufisme dans l’histoire musulmane.


 

Qui est Hallâj et pourquoi a-t-il fini condamné à mort ?

Pierre Lory : Husayn ibn Mansûr Hallâj est un grand soufi d’obédience sunnite, qui a vécu au tournant du Xe siècle (environ 858-922). Il a la particularité d’avoir dit tout haut ce que d’autres prêchaient tout bas. Pour des raisons diverses, Hallâj ne s’entendait pas avec le milieu soufi de son temps. Il l’abandonne rapidement et se met à prêcher « en freelance », si je puis dire, dans les souks ou les mosquées. Il fréquente des Juifs, des chrétiens, parle de mystique à qui veut bien l’entendre… Son style de prédication est totalement différent de celui des autres soufis, qui se regroupent habituellement en petits groupes discrets, voire clandestins. Hallâj, lui, voyage partout, en Iran, en Inde, en Arabie. Il acquiert un prestige énorme, des milliers de disciples se réclament de lui, on lui attribue de nombreux miracles. Et cela agace le pouvoir de façon prodigieuse. Il est mis en prison en 913, et il y restera jusqu’en 922, date de sa mise à mort, à Bagdad [alors en califat abbasside] .

“Depuis ses débuts, le soufisme pose, en tant que mystique, un problème à la pensée théologique musulmane” Pierre Lory

 

En quoi était-il considéré comme menaçant ?

Sur le fond, Hallâj n’apporte pas de doctrine très différente de ses maîtres. C’est sur la forme, parce qu’il prêche publiquement, qu’il crée le scandale. Depuis ses débuts, le soufisme pose, en tant que mystique, un problème à la pensée théologique musulmane. Pour le musulman ordinaire, être musulman consiste à obéir à la Loi religieuse. Personne ne peut comprendre Dieu ni l’atteindre. Tout ce que l’on peut faire, c’est lui obéir. Au contraire, pour les mystiques comme Hallâj et ses confrères, il est possible d’avoir une expérience de Dieu sur Terre. Il y a la possibilité d’un contact par le cœur – ce qui est jugé suspect. En Islam, tout dépend en effet du témoignage du prophète Muhammad qui a révélé le Coran et a délivré le hadith. S’il y a des mystiques qui affirment être en lien avec la source de la révélation, c’est un peu comme s’ils se mettaient en compétition avec le prophète. De fait, les soufis ne le font pas, mais il leur arrive facilement de passer pour hérétiques.

 

Y a-t-il d’autres raisons qui motivent cette méfiance envers les soufis ?

Les soufis professent l’union à Dieu ici-bas. Dans cette configuration, que deviennent le Jugement et la résurrection ? Cela laisse entendre qu’ils se considèrent déjà comme éternels en Dieu : le Jugement dernier perd donc son sens. Un autre point délicat concerne l’amour divin, idée qu’ils professent contre le texte du Coran. Pour les théologiens musulmans classiques, Dieu peut être miséricordieux, il peut être bon avec les êtres humains, délivrer des bienfaits, mais il ne peut pas y avoir un sentiment d’amour entre les humains et Dieu – dans un sens comme dans l’autre – parce qu’ils sont de nature trop différente, incommensurable. Or dans sa poésie, et notamment dans son Diwan [recueil poétique], Hallâj enseigne cet amour de Dieu, ce qui est jugé blâmable pour les théologiens. D’une manière générale, Hallâj a la certitude que face à Dieu, l’être humain est illusoire et qu’il lui doit tout, son corps, son esprit, sa capacité de dire « je ». L’expérience soufie telle qu’il la conçoit est celle d’un anéantissement en Dieu. L’être humain est pensé sur le mode d’un miroir dans lequel Dieu se reflète. Donc le « moi » divin se réverbère à travers le miroir de l’humanité. La communication avec Dieu se fait paradoxalement au nom de l’anéantissement de leur personne.

“Traditionnellement, être musulman consiste à obéir à la Loi religieuse : on ne peut atteindre ou comprendre Dieu, on peut juste lui obéir. Et au Xe siècle, le pouvoir a très peur que le spirituel prenne le dessus sur le légal” Pierre Lory

 

Et d’un point de vue politique ? Les soufis sont-ils considérés comme des rebelles, des révolutionnaires ?

Pas des révolutionnaires, mais on les soupçonne quand même de pouvoir incarner une autre autorité que celle des prophètes. Au Xe siècle, le calife est considéré comme la référence religieuse suprême. Cette référence religieuse est, d’abord et avant tout, une référence juridique. Le pouvoir a très peur que le spirituel prenne le dessus sur le légal. Cela dit, au moment où Hallâj exerce, il y a énormément de mouvements de révolte, sunnites ou chiites, qui contestent le pouvoir politique au nom de l’illumination spirituelle. On peut penser par exemple au mouvement des Qarmates, qui est vraiment révolutionnaire, puisque ses disciples ne pratiquent pas la religion, ils ne prient pas, ne jeûnent pas. Pour eux, les rites renvoient à une sorte d’école maternelle de la religion musulmane ! Les Qarmates vont jusqu’à attaquer la Mecque en 930, capturer la pierre noire de la Kaaba et l’emmener dans leur capitale al-Ahsâ, dans le nord de l’Arabie saoudite actuelle.

 

Qu’est-ce qui caractérise le soufisme dans sa pratique concrète ?

Le soufisme est un mouvement mystique qui naît dès les premiers temps de l’Islam, essentiellement parmi les sunnites car chez les chiites, il existe déjà des chefs charismatiques appelés imams, considérés comme des intermédiaires entre les êtres humains et Dieu. Les soufis pratiquent exactement les mêmes rites que les autres musulmans, mais ils en pratiquent certains en plus, et d’autres différemment. Le principal rite est la répétition de certains noms divins ou de certaines prières, qui varient beaucoup selon les confréries. La répétition des textes est à mettre en lien avec la notion de baraka (بركة,), cette énergie singulière qui trouve sa source dans le monde divin. Plus un maître soufi prie, plus il est en contact avec le monde divin, plus son esprit, ce corps subtil qu’il a en lui, se renforce en récitant des textes. La plupart des maîtres soufis sont très peu connus car ils vivaient discrètement et n’ont pas laissé de traces. Le maître de Hallâj était Junayd, un juriste qui a en quelque sorte installé le soufisme comme pensée ésotérique, avec une transmission entre croyants qui se fait sur le mode initiatique.

“En islam, Hallâj est un saint, mais pas un martyr” Pierre Lory

 

Hallâj est un saint, en islam. Comment désigne-t-on la sainteté dans cette religion ?

Il n’y a pas de clergé en islam ; par conséquent, la vox populi décide. Si un grand soufi est considéré comme saint, c’est parce que ses disciples le considèrent comme tel. La sainteté en islam est très différente de la sainteté en climat chrétien. Il s’agit vraiment d’arriver à se dépouiller de toutes ses qualités humaines et en quelque sorte à se remplir de présence divine. L’idéal, c’est que le saint puisse se gommer lui-même, effacer sa propre personnalité et laisser la présence divine demeurer en lui. Hallâj est donc un saint, mais pas un martyr. Pour rappel, les martyrs qualifient uniquement des croyants qui meurent au combat, en principe contre des non-musulmans. Hallâj, lui, a été exécuté après un procès, où le calife a jugé lui-même : malgré son supplice, il a été exécuté par d’autres musulmans. Il a sacrifié sa vie pour sa religion, certes, mais aux yeux des musulmans, ce n’est pas cela qui fait un grand saint. Hallâj serait mort dans son lit, cela aurait été pour ainsi dire pareil.

 

Qui sont les soufis aujourd’hui ? Sont-ils toujours persécutés ou mis sous surveillance, dans les sociétés à dominante musulmane ?

Après l’exécution de Hallâj, les soufis ont compris qu’il fallait être prudent. Une sorte de modus vivendi s’est établi au fil des siècles, à savoir que si les soufis restaient entre eux et ne prêchaient pas publiquement, ils pourraient avoir les expériences qu’ils voulaient d’extinction en Dieu, sans être persécutés. Mais il fallait qu’ils restent tranquilles et qu’ils reconnaissent le pouvoir politique ou légaliste comme le pouvoir officiel. C’est ce modèle qui perdure aujourd’hui, quoique de manière très variable selon les aires géographiques. En Arabie saoudite par exemple, ils sont encore persécutés par le pouvoir wahhabite, qui ne tolère que la charia et exclut les soufis. Ces derniers sont acceptés et repérés dans des pays comme l’Égypte, où il existe un ministère qui s’occupe de les recenser. Autre configuration, au Sénégal, où plus de la moitié de la population appartient à des ordres soufis. Et dans d’autres pays, comme au Maroc, le gouvernement essaie même d’appuyer les confréries soufies pour en faire des contrefeux aux musulmans fondamentalistes.

Découvrez le poète, écrivain et mystique persan Husayn ibn Mansûr Hallâj
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