Pierre Cassou-Noguès : “Le confinement nous donne l’impression de vivre dans une fiction”
Le philosophe Pierre Cassou-Noguès a fait paraître en octobre dernier Virusland (Editions Cerf). Il explique son choix de passer par la fiction pour rendre compte de la singularité de l’expérience du confinement et témoigner de son inquiétude devant le nouveau rapport au monde qui se dessine en temps de pandémie.
Pourquoi, en tant que philosophe, avoir voulu vous placer du côté de la fiction pour décrire l’expérience du confinement ?
Pierre Cassou-Noguès : La philosophie, en ce qu’elle prend pour point de départ le possible, passe pour moi par la fiction. Dans mes derniers écrits, je me suis rapproché d’un genre proche de la science-fiction. J’ai par exemple essayé d’étudier les corps en faisant varier les propriétés pour dessiner une carte de nos corps possibles et faire ressortir les structures essentielles de nos corps tels que nous les vivons. J’ai également imaginé des formes de vie renouvelées par les technologies, où la pensée, plutôt que d’être accessible par la réflexion, serait au contraire ignorée du sujet et détectée par des lecteurs de cerveaux. Je ne parlais alors du monde réel qu’à partir de ce possible fictif. Or c’est justement ce qui était impossible dans le cas du confinement. Avec Virusland, le passage par la fiction n’avait pas pour but d’explorer les possibles mais, au contraire, de faire ressortir l’étrangeté du réel. Le point de départ de ce livre a été ma sidération devant cette nouvelle forme de vie qui s’installait et le sentiment d’étrangeté qui l’accompagnait. J’ai voulu toucher du doigt cette angoisse vague qui nous gagnait. Il y avait certes la peur de tomber malade, mais cette angoisse tenait plutôt à l’impression troublante de vivre dans une fiction. Les journaux télévisés ou les gestes que nous mettions en place, entre nous, n’étaient pas sans évoquer des films de science-fiction que nous avions tous en tête. Freud voit dans ce moment où la réalité semble se calquer sur la fiction une des sources de ce qu’il nomme l’« inquiétante étrangeté ». Pour faire ressortir la bizarrerie de ce que nous vivions, j’ai donc choisi de me placer délibérément dans un monde fictif – nous ne sommes pas en France mais à Virusland –, puis de coller tant que possible ce monde à la réalité. Un petit peu à la manière des Lettres persanes où Montesquieu, à partir d’une situation fictive – un Persan qui arrive à Paris –, porte un regard décalé sur nos coutumes pour en faire ressortir le caractère contingent. La possibilité d'utiliser la fiction en philosophie, les rôles ou les fonctions que l'on peut lui donner, les médias aussi dans lesquels les fictions philosophiques sont susceptibles de s'exprimer, ces questions sont au centre de mon travail. Parallèlement à Virusland, je continue à travailler avec une artiste, Gwenola Wagon, à une web-série autour de la pandémie : une série de vidéos, dont on peut voir les premiers épisodes en ligne, et dans laquelle nous cherchons encore, mais par d'autres moyens, à faire ressortir l'étrangeté, parfois comique, de cette forme de vie qui s’est installée.
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