Peut-on (vraiment) prouver à quelqu’un qu’il a tort ?

Vous êtes probablement un esprit rationnel qui ne croit pas à l’existence des sorcières. Mais comment faire entendre raison à quelqu’un qui ne serait pas du même avis ? Et d’ailleurs, n’est-il pas présomptueux de croire à leur inexistence puisqu’il est impossible de prouver absolument qu’une chose ne peut pas exister ? Tel est le point de départ du questionnement philosophique mis en scène dans J’ai raison, tu as tort ! (Éditions Éliott, 2022) de Timothy Williamson, professeur de logique à l’université d’Oxford. Sous la forme accessible d’un dialogue entre quatre personnages, il explore les frontières de notre tolérance, pour mieux interroger ce qu’est la vérité et comment y accéder. Passionnant.

On a beau avoir raison, le problème est que ça ne suffit pas toujours. Encore faut-il que les autres en soient pleinement convaincus, et même parfois, ce qui est plus difficile… qu’ils admettent qu’ils ont tort. Existe-t-il, alors, des moyens logiques permettant d’établir qui a tort et qui a raison ? Dans ce livre, Timothy Williamson met aux prises plusieurs personnages qui échangent leurs idées. À la manière d’un dialogue platonicien ? La forme retenue par le logicien fait plutôt penser à l’écriture d’une pièce de théâtre comme Art (1994) de Yasmina Reza, qui voyait s’affronter trois amis à propos de leurs conceptions respectives de l’art contemporain. Dans J’ai raison, tu as tort !, la mise à plat des différents arguments des interlocuteurs offre un effet l’occasion de présenter un échantillon de quelques-unes des grandes doctrines philosophiques concernant notre accès à la vérité, la possibilité de la réfutation, la certitude et l’universalité des jugements moraux.

Relativisme vs. dogmatisme

C’est ainsi qu’au détour de la conversation entre Sarah, Pierre, Zac et Roxana, on croisera Protagoras, Aristote, Alfred Tarski, Nietzsche ou encore Wittgenstein. Mais plutôt que d’exposer directement leurs textes, Timothy Williamson a choisi de présenter – de manière certes accessible mais parfois allusive – leurs idées en les mettant en situation. Le personnage de Zac, par exemple, refuse de condamner Pierre quand celui-ci juge que sa voisine est une sorcière qui l’a ensorcelé, pas plus qu’il n’entend donner raison à Sarah qui estime qu’il doit exister une explication scientifique à tout (même si celle-ci nous échappe actuellement). Zac incarne donc le relativisme, qui se montre très tolérant envers les positions des uns et des autres, mais peut-être parce qu’il n’en prend aucune véritablement au sérieux. C’est d’ailleurs ce que lui reproche Sarah, qui supporte mal ce prétendu respect des différents points de vue qu’elle considère comme une forme de condescendance.

Des visions du monde

Mais plus que des doctrines philosophiques qui s’opposent, ce sont de véritables visions du monde qui s’affrontent. C’est ce qu’a bien compris Zac, qui rétorque : « Sarah, vous essayez de réduire le relativisme à une formule. Ce n’est pas simplement une théorie de plus, en concurrence avec toutes les autres. C’est bien davantage : c’est une attitude face à la vie. » Le relativiste considère en effet que l’acceptation de la diversité des opinions permet d’éviter les « disputes stériles et blessantes » : des expressions apparemment anodines comme « avoir raison » ou « avoir tort » sont déjà pour lui le commencement du mal. Car, explique-t-il, « c’est quand les gens se mettent à lancer ces mots menaçants, et à agir sur leur base, que les choses, les mauvaises choses, arrivent : bombardements, invasions, conversions forcées, massacres au nom de Dieu et du progrès ». C’est que la philosophie engage bien plus que la philosophie : croire en l’existence d’une vérité universelle marquerait le début de l’intolérance.

Et le lecteur dans tout ça ?

Timothy Williamson se gardant bien d’arbitrer entre ses différents personnages, il appartiendra à chaque lecteur d’identifier celui ou celle dont il se sent le plus proche pour, comme avec un test de personnalité, reconnaître et prendre conscience de sa propre orientation philosophique. Et peut-être aussi pour entendre les arguments adverses et remettre en causes ses certitudes. J’ai raison, tu as tort ! est en ce sens une sorte de gymnastique intellectuelle qui, en invitant le lecteur à adopter différentes positions mentales, permet d’assouplir son esprit.

J’ai raison, tu as tort !, de Timothy Williamson, vient de paraître aux Éditions Éliott. 197 p., 17,50€, disponible ici.