“Peut-on ne plus aimer la philosophie ?”
— Question d’Enzo Labetoulle
J’aime beaucoup votre question, cher Enzo. Elle laisse entendre que la philosophie peut nous décevoir, créer en nous une forme de désamour. Cela peut effectivement être le cas d’une certaine philosophie. Lorsque, par exemple, elle est trop dogmatique ou trop systématique, on peut s’en éloigner au motif qu’elle ne nous aide pas à penser ou à vivre nos existences singulières. On peut aussi être lassé par l’histoire de la philosophie, par cette impression qu’on y trouve toutes les propositions, qu’une chose peut y être défendue aussi bien que son contraire, que cette histoire n’est pas marquée par une vraie progression. On peut également, pour toutes les raisons précitées, se tourner vers la psychologie, le développement personnel, la religion… Enfin, on peut ne plus supporter l’éloge du doute et du sens critique, parce qu’on n’en a plus la force et qu’on réclame de tout son être des certitudes qui rassurent…
Si l’on définit la philosophie comme la recherche de propositions théoriques ayant des répercussions existentielles, comme un travail sur les concepts produisant des effets sur nos affects, et si on l’aime pour cela, il n’y a toutefois, me semble-t-il, aucune raison de cesser de l’aimer. Au contraire. Plus on la fréquente, plus on l’aime, car on mesure chaque jour un peu plus son pouvoir d’agrandir notre vie, notre vision des choses et notre façon de les vivre. Ainsi, s’ouvrir aux philosophies du bonheur ou de la joie, c’est ouvrir le champ de nos manières d’être heureux, de nos possibilités de joie. Pourquoi cesserait-on d’aimer une telle ouverture des possibles ? À cela s’ajoute qu’on se sent moins seul quand on comprend que tant d’autres hommes, dans des cultures ou des époques différentes, se sont posé les mêmes questions, ont éprouvé les mêmes souffrances, ont connu les mêmes angoisses. Cette découverte d’une communauté humaine par-delà les différences, on ne peut s’en lasser. Quand on aime cette manière dont le doute nous élève et nous rapproche là où nos certitudes nous séparent, quand on aime la manière dont une liberté de penser fait du bien même à notre corps, nous rend plus vivants, plus présents à nous-mêmes, aux autres et au monde, on l’aime de plus en plus – et de moins en moins sagement, de plus en plus follement ; on devient accro à ce qui nous libère.
“L’amour a-t-il une réelle définition ?”
— Question d’Andrea Nigon
Pas vraiment, et c’est pourquoi, comme l’écrit Arthur Rimbaud, « l’amour est à réinventer ». On trouve tellement de définitions de l’amour (l’amour passion, l’amour filial, l’amour construction, l’amour fusion, l’amour agapè, l’amour éros, l’amour philia…) qu’on finit par se retrouver devant une sorte de vide. Comme si tous ces discours sur l’amour nous ramenaient au mystère premier : un être me touche, m’aimante, me trouble, et soudain je m’attache à lui plus qu’à moi-même. Je deviens dépendant, mais j’aime ça. Je ne sais plus qui je suis, mais je sens bien que je suis moi plus que jamais. Bien sûr, les philosophes continueront à chercher l’idée ou l’essence de l’amour, à vouloir le définir. Mais nous continuerons à le vivre d’autant plus fort que nous ne parvenons pas à le définir. Car alors nous sommes au contact de sa réalité et nous ne sommes pas tentés de rapporter sans cesse cette réalité à une prétendue idée.
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
Confinements et couvre-feux à répétition, bars, clubs et cafés fermés, lieux culturels désertés, télétravail généralisé, « gestes barrières…
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