“La Femme de Tchaïkovski” : dame de pique
Aimer sans réciprocité possible, est-ce aimer à la folie, jusqu’à la haine ? C'est la question que pose le film du cinéaste russe Kirill Serebrennikov consacré aux liens tourmentés unissant le compositeur Piotr Tchaïkovski et son épouse.
Une fièvre parcourt toute l’œuvre de Kirill Serebrennikov, au théâtre comme au cinéma. Elle embrase le nouveau film du réalisateur russe, qu’il consacre à Piotr Tchaïkovski, imaginant un portrait en creux du compositeur à travers celui de sa femme, Antonina Milioukova, apprentie pianiste, éperdue depuis sa rencontre avec le musicien… Mais cet amour sans réciprocité tend au délire. Il se mue en haine chez Tchaïkovski (interprété par Odin Lund Biron), qui a demandé la main de son épouse par conformisme, sinon par intérêt financier après qu’elle a insisté – nous ne connaissons en fait pas le contenu de la lettre qui l’a convaincu. En revanche, nous découvrons par la bande l’inclination homosexuelle du grand homme, vécue dans l’hypocrisie par la haute société, et sans que le sujet ne soit jamais abordé frontalement. Le mensonge à soi-même gagne aussi Antonina Milioukova (Alyona Mikhailova), qui, brûlant dans l’obsession du maître, préfère le déni et refuse le divorce. Entre film d’époque et film de genre, le cinéaste ménage des embardées fantastiques. Des visions rêvées ou cauchemardesques lèvent ainsi le voile sur l’essence du désir et la violence du refoulement. « Nos sociétés civilisées, qui exigent une bonne conduite, sans se soucier des penchants qui sont à leur base, écrit Freud, ont ainsi habitué un grand nombre d’hommes à obéir, à se conformer aux conditions de la vie civilisée, sans que leur nature participe à cette obéissance. » Comme il l’explique dans ces Considérations actuelles sur la guerre et la mort, la répression du désir suscite des phénomènes névrotiques – l’irritable et génial Piotr en atteste. Mais ce n’est pas tout, c’est aussi une maladie de notre civilisation, qui « favorise dans une mesure extraordinaire ce genre d’hypocrisie. On peut dire, sans exagération, qu’elle repose sur cette hypocrisie et qu’elle subirait de profonds changements, si les hommes s’avisaient de commencer à vivre selon la vérité psychologique. Il existe donc infiniment plus d’hommes qui acceptent la civilisation en hypocrites que d’hommes vraiment et réellement civilisés ». Dans ce film affolant, cette hypocrisie rend fou, littéralement, et la femme de Tchaïkovski, qui prend des traits mystiques, se voit comparée à Hécate, la déesse lunaire, sombre et lumineuse, protectrice et infernale. Hécate veille d’ailleurs sur un autre spectacle que présente Kirill Serebrennikov au théâtre, où l’on retrouve le talent d’Odin Lund Biron : Le Moine noir, créé à Avignon durant l’été 2022, d’après une nouvelle de Tchekhov. Là encore, sous cette lune trouble, vérité et liberté y apparaissent comme des absolus… dont la quête, lorsqu’elle est solitaire, peut mener à la folie.
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