Petite philosophie de la gaffe
Vous êtes plutôt du genre bouche cousue ou pieds dans le plat ? Collet monté ou éléphant dans un magasin de porcelaine ? Si vous vous considérez comme un(e) spécialiste des bourdes, bévues et autres impairs, si vos joues s’empourprent régulièrement d’embarras… dites-vous qu’il y aura toujours plus maladroit que vous. En l’occurrence (probablement) notre journaliste Clara Degiovanni, qui de son propre aveu « n’en rate pas une » ! mais le confesse avec jubilation, et n’aime rien tant que passer au scalpel ses maladresses, après coup, pour tenter de déceler à travers elle l’inavouable vérité qui cherche à éclater au grand jour. Une réjouissante (auto)analyse, avec Vladimir Jankélévitch.
Confidence éhontée d’une gaffeuse en chef
Pour commencer une philosophie de la gaffe, rien de tel qu’un exemple. En voici une qui m’est arrivée récemment. Invitée à un événement, je m’apprête à saluer une dame que je ne connais pas. Problème : elle tient deux grandes assiettes de frites. Je ne peux donc pas lui serrer la main. Je crois alors comprendre qu’elle me tend son petit doigt, tout en portant les plats. Ni une ni deux, je serre ce dernier (avec mon propre petit doigt, comme de bien entendu).
Étrange salutation, me dis-je. C’est en croisant son regard effaré que j’ai compris. Elle ne s’attendait pas du tout à ce geste incongru, et c’était sans doute un hasard ou un effet de style si son petit doigt se détachait ainsi des autres. Écarlate et bredouillante, je me confonds en excuses. Pendant toute la soirée, je n’ai cessé de ressasser cette petite maladresse. Moi qui suis assez coutumière de ce genre de déconvenue, j’ai repensé à ces mots de Vladimir Jankélévitch : « Le gaffeur dit ce qu’il ne faut pas dire, quand il ne faut pas le dire, là où il ne faut pas le dire ; […] il choisit le lieu et le moment les plus déplacés. Il est le génie de la maladresse ! » Je ne sais si je suis moi-même une sorte de génie des gaffes, mais il m’arrive souvent de dire ou de faire pile ce qu’il ne faut pas faire, au moment le moins opportun. En l’occurrence, serrer le petit doigt d’une femme élégante lors d’une soirée plutôt chic.
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