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International

Petite histoire de l’autodafé

Nicolas Gastineau publié le 09 septembre 2021 4 min

Au Canada, la nouvelle a fait l’effet d’un choc. Un article paru le 7 septembre sur Radio Canada révèle que près de 5 000 livres jeunesse, incluant Tintin en Amérique ou Astérix et les Indiens, ont été récemment détruits et recyclés par les bibliothèques du Conseil scolaire catholique Providence, dans l’Ontario, au Canada. La raison invoquée ? Ils donnaient une « représentation fautive des Autochtones », en dépeignant les “Premières Nations” comme « pas fiables, paresseux, ivrognes, stupides…». Mais le vrai scandale vient d’autre chose : il est mentionné dans ce même article qu’en 2019, « une cérémonie de purification par la flamme » s’est tenue au nom du même argument, brûlant une trentaine de livres. L’autodafé date donc en réalité d’il y a deux ans, mais il suscite aujourd’hui la polémique. L’occasion de revenir sur la sombre histoire de ces destructions par le feu.

 

  • Une purification religieuse. Le terme français « autodafé » vient directement du portugais auto de fé (« acte de foi »), qui vient lui-même du latin actus fidei pour signifier la même chose. Au Moyen Âge, un auto da fe était une séance de l’Inquisition pendant laquelle une personne accusée d’hérésie devait prouver la sincérité de sa foi. À défaut, elle était brûlée. L’autodafé au sens chrétien désigne donc l’acte de détruire par le feu une chose impie. Pourquoi le feu ? La racine grecque pyr-, qui a formé « pyromanie », a aussi donné « pur »… et signale bien la double nature paradoxale du feu : à la fois destructeur et purificateur, il consume son objet et supprime également les impuretés, comme en témoigne son usage médical (cautérisation par le feu). Cette connotation se retrouve dans son investissement par l’imagerie chrétienne : les représentations du Purgatoire au Moyen Âge, où les âmes pénitentes se purifient avant d’accéder au paradis, figurent le passage du croyant au travers de grandes flammes ardentes. En 2019, même si le référent religieux est visiblement évacué, c’est toujours sur ce double sens que joue cette « cérémonie de purification par la flamme » organisée dans l’Ontario.
  • Un outil politique contre la « corruption ». À travers les âges, l’autodafé est devenu l’instrument de pouvoirs politiques extrêmes qui, arrivés au pouvoir, aspirent à abolir les sources matérielles de la « corruption ». Le frère dominicain Jérôme Savonarole (1452-1498), prédicateur virulent qui installe une dictature théocratique à Florence, y organise le 7 février 1497, jour du Mardi Gras, un grand autodafé. Ses partisans font une quête dans toute la ville pour récupérer des objets incitant au pêché et à la vanité, vêtements précieux, instruments de musique, livres jugés immoraux ou peintures de nus. Ils les rassemblent sur la place et les enflamment sur ce qu’ils nomment le Bûcher des Vanités.
  • Le signal d’un projet exterminateur. Le 10 mai 1933, devant la prestigieuse Université Humboldt à Berlin, temple de l’histoire de la pensée où enseignèrent Fichte et Hegel, les nazis récemment arrivés au pouvoir brûlent 25 000 ouvrages de grands penseurs et d’écrivains, très majoritairement des juifs de langue allemande. Parmi eux, Karl Marx et Albert Einstein, tous deux anciens élèves à l'université Humboldt (1769-1859) – mais aussi Sigmund Freud. Des épisodes similaires se multiplient dans les grandes villes universitaires, à Hambourg, à Cologne ou à Bonn. Là aussi, les nazis revendiquaient l’ambition de « purifier » la langue et la littérature allemandes par un « nettoyage » (Säuberung) des livres par le feu. Idéologie totalitaire par excellence, le nazisme prétend réordonner toute la réalité selon un modèle explicatif unique, et exige donc, pour tenir, d’arracher les éléments qui, résistant à cette cohérence, abîment la pureté du modèle. Comme l’a révélé la tentative d’extermination de la totalité des Juifs d’Europe, la destruction par le feu est allée jusqu’à la destruction des hommes par le feu.
  • Une mise en scène prophylactique. L’autodafé ne se contente pas de détruire ou de faire disparaître – sinon, c’est en catimini qu’il mettrait les ouvrages au pilon. Non, l’autodafé est la mise en scène de la destruction, son rituel public. En tant que tel, il ouvre donc la possibilité d’une célébration, autour du brasier devenu feu de joie. À Berlin en 1933, les nazis brûlent les livres en haranguant la foule, procédant chacun leur tour au rythme des discours. Quand Savonarole organise son Bûcher des Vanités à Florence, il choisit la date du Mardi Gras, jour de liesse populaire et de déchaînement collectif. Plus récemment, à la suite de la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain Salman Rushdie, des fidèles brûlent en Angleterre ses célèbres Versets Sataniques (1988) en pleine manifestation, signe qu’il ne s’agit pas seulement d’un effacement, mais encore de la mise en scène de cet effacement. C’est là un petit paradoxe : pourquoi faire communication d’une chose qu’on voudrait voir disparaître ? C’est que l’autodafé aspire toujours à plus que la destruction des quelques exemplaires présents sur son bûcher : l’autodafé veut donner l’exemple, il cherche sa propre multiplication ; il est une adresse aux spectateurs, une injonction à ce que chacun reproduise, en soi, ce travail d’oblitération.
  • Une atteinte à la vocation de l’humanité. Si, dans l’intention comme dans la proportion, l’autodafé de 2019 au Canada n’a a priori rien de comparable avec les sinistres exemples cités plus haut, il faut reconnaître qu’il y fait, par naïveté, par maladresse ou par une bêtise qu’on peut juger coupable, une bien malheureuse référence. Mais au fond, pourquoi voir un livre brûler nous choque-t-il autant ? Après tout, ne vaut-il pas mieux s’en prendre à un livre qui n’est qu’un assemblage d’encre et de papier qu’à la personne qui l’a écrit ? Sans doute. Mais, au-delà de ses éléments matériels ou de son contenu intellectuel, le livre a une dimension symbolique : celui de cette invention à travers laquelle l’humanité affirme sa vocation à produire, conserver et transmettre le savoir et la pensée. Brûler un livre, quel qu’il soit, c’est porter atteinte à cette vocation.
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