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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Andreas mis en scène par Jonathan Châtel © Christophe Raynaud De Lage

Jonathan Châtel: “ La qualité sensible d’un spectacle passe par une forme d’intellection et de perte”

Cédric Enjalbert publié le 16 octobre 2015 6 min
Qui suis-je moi qui dis je? Partant de cette question, le metteur en scène Jonathan Châtel présente une adaptation inspirée du “Chemin de Damas” de Strindberg, intitulée “Andreas”. Un succès du Festival d’Avignon repris au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, dans le cadre du Festival d’Automne, puis en tournée en France.

Le Chemin de Damas, que vous avez adapté de Strindberg et présenté au Festival Avignon en 2015 avec succès, est une pièce foisonnante et retorse. Comment l’avez-vous abordée ?

La porte d’entrée dans cette montagne, écrite par Strinberg à un tournant de sa vie, a été un dilemme autour de la question de l’identité. Le Chemin de Damas met au cœur de son intrigue une figure nommée l’Inconnu. À cet inconnu, dans mon adaptation, j’ai donné un nom : Andreas. Il révèle un secret à son interlocuteur, dès le premier acte, qui est la clé de cette pièce énigmatique. Il dit : « je vais te dire un secret, j’écris sous pseudonyme. » Or ce secret, une fois formulé et partagé, ouvre une brèche dans l’intimité des personnages, comme une fuite en avant. Le trouble dans l’identité va hanter toute la pièce et se propager à chaque personnage.

 

Sur quoi repose ce sentiment de trouble ?

Il s’agit d’un trouble dans l’identité. Ce dernier relève d’un conflit, d’une problématique entre des alternatives fondamentalement indécidables, qui se posent sans cesse dans l’existence. Strindberg redouble ces questions de choix de vie, du point de vue de l’écrivain. L’auteur se pose la question du choix de l’isolement ou du renoncement à l’écriture, comme si l’écriture ne pouvait s’embarrasser de la communauté humaine. Andreas repose d’ailleurs sur un dispositif intimiste, autour de quelques figures flottantes. Le théâtre intime était l’une des utopies de Strindberg, qu’il imaginait sur le modèle de la musique de chambre. Ce dispositif favorise l’instauration du trouble.

 

La question du choix de vie fait partie de vos préoccupations philosophiques.

Oui. J’ai en effet une passion pour la philosophie. J’entretiens notamment des souvenirs très vivaces des cours de Jean-Louis Chrétien, le samedi matin tôt, à la Sorbonne. Entendre parler Jean-Louis Chrétien du Phédon, et sur ce que c’est que choisir sa vie était remarquable. J’ai ensuite travaillé sur l’identité humaine dans l’œuvre de Kierkegaard, sous sa direction. Une expérience très forte. Je me souviens aujourd’hui encore des premières pages de Crainte et Tremblement dissertant sur la figure d’Abraham qui sacrifie son fils pour honorer le commandement divin. Kierkegaard s’appuie sur cette figure pour montrer la discontinuité qui peut exister entre l'éthique et la foi.

 

Est-ce un théâtre d’idées ?

Non, pas vraiment ! Le Chemin de Damas, Till Damaskus, soit “vers Damas” en suédois, propose une traversée mentale, un voyage, qui n’est pas uniquement rationnel mais renvoie à des expériences sensorielles, que je cherche à transmettre. Tout l’enjeu est de se tenir sur cette frontière entre l’explicite et la suggestion. Je suis convaincu fondamentalement que le théâtre est fait pour poser des questions existentielles, je crois aussi et d’abord à la singularité de chaque spectateur. Lorsque je monte un spectacle, je ne considère jamais le public comme une entité. La qualité sensible d’un spectacle passe par une forme d’intellection et de perte, par de l’évocation diffuse et de la nuance.

 

Au spectateur d’amplifier l’implicite ?

Oui, exactement. Amplifier, c’est le mot. Andreas est une dérive existentielle, une invitation au voyage pour le spectateur. Mais il lui revient de se projeter dans le tableau dont il est spectateur. À lui d’élargir le cadre et de donner de l’écho à ce qu’il entend, de la profondeur à ce qu’il voit. J’espère que le spectateur puisse composer son propre poème sur le poème.

 

On a parlé d’épure ou « d’économie de l’élémentaire » à propos de votre précédant spectacle, Petit Eyolf.

Pour Petit Eyolf comme pour Andreas, l’idée a bien été de composer avec économie, selon une trame en apparence très simple faite d’oppositions entre le haut et le bas, le clair et l’obscure, etc. Ce sont les ficelles du conte que j’adapte sur scène, avec son lot de structures, présentes dans le fond dans la conscience humaine, dans une forme d’inconscient collectif. Andreas repose aussi sur une série de pactes, de contrats et d’accords mutuels noués entre les personnages. Par exemple, l’Inconnu veut suivre la Dame pour retrouver sa force, et elle accepte à condition qu’il la libère de son mari, Le Loup Garou. Ce à quoi il répond « combattre des trolls, libérer des princesses, tuer des loups-garous, c’est vivre ». Ce principe d’échange quasiment marchand a avoir avec l’univers du conte. C’est une forme de viatique, de clé, pour franchir différentes étapes. J’ai remodelé ce motif déjà très présent chez Strindberg pour lui donner une ligne encore plus archétypale.

 

Vous avez multiplié les sources d’inspirations. Quelles sont-elles ?

J’ai notamment lu Mon Combat  du Norvégien Karl Ove Knausgård, dans lequel il raconte un conflit tragique, une incompatibilité entre la performance de l’écriture et la vie quotidienne triviale décrite dans le texte. Cette problématique qu’il a nomme de façon très précise et puissante a été l’une des perspectives que j’ai prises sur le texte de Strindberg. Les bons auteurs ne cessent d’écrire contre cela, contre cette impossibilité. L’écriture naît de l’empêchement d’écrire, de l’insuffisance du langage, elle se love tout contre.

J’ai aussi lu La Légende du Saint Buveur, de Joseph Roth. Il décrit un personnage de mendiant, nommé Andreas, qui n’arrive jamais à rembourser Dieu des deux cents francs qu’il lui a emprunté. Cette nouvelle est une errance aux confins du réel et du souvenir, de la fiction, de la mémoire et de l’oubli. Elle a donné la tonalité de mon adaptation du texte de Strindberg.

 

Les personnages de Strindberg sont tous confrontés à une quête d’absolu destructeur.

Oui. Des figures telles celles du vieillard, du médecin, du mendiant ou de la mère sont des figures qui sont engagées dans un combat. Elles sont fanatiques, chacune à leur manière, et marginales. Ces personnages renvoient également l’Inconnu à son utopie d’écriture destructrice, dans laquelle cet homme a détruit sa vie quotidienne. Par exemple, la Mère l’accuse d’avoir bafoué la vie de ceux qu’il prenait pour modèle dans son livre. Le Mendiant, qui est le double de l’Inconnu, une projection de ses angoisses, lui confesse qu’il a fini par détester sa femme et sa fille à cause de son obsession du livre parfait. Ces personnages renvoient tous l’Inconnu à son solipsisme, à son égoïsme meurtrier. 

La culpabilité du solitaire est une idée romantique très présente chez Ibsen comme chez Strindberg. La manière dont l’absolu, qu’il soit divin, d’écriture, de la création artistique dérégule nos existences se pose chez eux. Ces inquiétudes correspondent aussi à un changement fondamental de la conscience européenne.

 

Quel est ce changement ?

À la fin du XIXe siècle, l’essor de la psychanalyse, par exemple, crée une faille dans la représentation de l’homme. Les révolutions économiques, sociales, technologiques bouleversent aussi notre rapport au monde. La notion d’individu prend de l’épaisseur et se complexifie. Chez Strindberg les individus ne se trouvent pas tout à fait. Leurs velléités sont tournées en dérision, mises en doute. Dans l’adaptation du Chemin de Damas, j’ai ajouté un poème d’Ibsen, À mon ami l’orateur révolutionnaire. Son ton ironique donne la mesure de l’esprit du temps. Il dit : « Tu prétends que je suis devenu “conservateur” ? Je suis ce que j’ai été toute ma vie. Manipuler des pions, ce n’est pas pour moi. Mais renverser la table ; je suis pour ! Dans mon souvenir, il n’y a qu’une seule révolution qui n’ait pas été menée par un tricheur faisant les choses à moitié. Elle porte le prestige de toutes celles qui ont suivi. Je veux bien entendu parler de l'histoire du Déluge. Pourtant, même cette fois là, Lucifer s'est fait avoir. Car Noé, comme tu le sais, s'est emparé de la dictature. Alors je te propose qu’on recommence avec plus de radicalité, monsieur le radical. Tu te chargeras d’inonder la surface de la Terre. J’irai, avec joie, torpiller l'Arche »

Ibsen comme Strindberg imagine le théâtre comme vecteur d’une charge destructrice à l’endroit des systèmes de pensée. Ils y déploient une férocité qui crée de l’inquiétude, y ménagent des surfaces dans lesquelles se projeter et se perdre.

 

Informations
Andreas,
d’après la première partie du Chemin de Damas d’August Strindberg
Mise en scène de Jonathan Châtel
Avec: Pauline Acquart, Pierre Baux, Thierry Raynaud, Nathalie Richard
Collaboration artistique: Sandrine Le Pors
Assistant à la mise en scène: Enzo Giacomazzi
Scénographie: Gaspard Pinta
Lumière: Marie-Christine Soma
Costumes: Fanny Brouste
Musique: Étienne Bonhomme 
Création au Festival d’Avignon 2015 – Cloître des Célestins
 
Tournée 2015-2016
Du 25 septembre au 15 octobre 2015 au Théâtre de la Commune (Aubervilliers)
Du 4 au 7 novembre 2015 à l’Hippodrome (Douai)
Le 10 novembre 2015 au Manège (Maubeuge)
Du 18 et 19 novembre 2015 à La Comédie (Caen)
Du 25 et 26 novembre aux Espaces pluriels (Pau)
du 12 au 16 janvier 2016 au Théâtre l’Olympia (Tours)
Du 19 et 20 janvier 2016 au Théâtre des Treize Arches (Brive)
Du 3 et 4 février 2016 au Phénix (Valenciennes)

 

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