Patrick Declerck : “En formation de sniper, j’étais à l’école de la raison pure”
Psychanalyste et écrivain, Patrick Declerck s’intéresse aux sujets sensibles, qu’il tente de décrypter à travers des récits immersifs. Vie des SDF, confrontation au cancer… et aujourd’hui, les armes à feu. Dans Sniper en Arizona (Buchet-Chastel, 2022), Patrick Declerck raconte ses stages de formation au tir d’élite, où il a côtoyé l’Amérique conservatrice, entre blagues lourdes sur les armes-phallus et attrait sincère pour la technicité du maniement des armes.
Les armes sont très présentes dans nos sociétés, aux États-Unis mais aussi en France – et pourtant la littérature, les sciences sociales, la philosophie n’abordent guère le sujet. Pourquoi un tel silence, selon vous ?
Patrick Declerck : Les armes circulent beaucoup dans nos sociétés, c’est vrai. Il y aurait aujourd’hui entre 380 et 400 millions d’armes sur le sol des États-Unis dont une grande partie de la population leur voue une culture délirante portée, entre autres, par le lobby de la NRA. Mais nous ne sommes pas en reste en France. L’étude la plus fiable récemment, menée par un institut de recherche suisse, établit qu’il y a dans l’Hexagone plus de douze millions d’armes à feu, soit une pour quatre ou cinq adultes. Et il est probable que ce chiffre soit sous-estimé. À mon retour d’Arizona, j’ai voulu aller m’acheter un fusil pour le manipuler et refaire les mêmes gestes que j’avais appris là-bas, ceci afin d’être très précis dans l’écriture du livre. Je pensais ne trouver qu’un lointain cousin de la Remington 700, le fusil des marines avec lequel les instructeurs américains nous avaient fait tirer. Pas du tout ! L’armurier chez lequel je suis allé m’a proposé le même modèle. Pour l’obtenir, il a suffi que je m’inscrive à un club de tir, une formalité assez simple pour tous ceux qui disposent d’un casier judiciaire vierge. J’ai aussi appris que je pouvais acheter mille cartouches par jour, le maximum légal, ce qui est fou. Et un silencieux ! Mais un silencieux pour quoi faire ? Voilà une bonne question… Tout cela montre bien que nous vivons dans le déni. Il y a là un impensé complet. Et d’ailleurs, la lecture de mon manuscrit a provoqué chez certains de mes premiers lecteurs un rejet spectaculaire. À leurs yeux, Sniper en Arizona aurait peut-être été plus acceptable si j’avais abordé le sujet avec la distance sociologique propre à un chercheur, sans passion ni détails scabreux pourtant bien réels. Ils trouvaient scandaleux que je confère aux élèves snipers que j’ai côtoyés pendant ces trois stages un semblant d’humanité. Et plus intolérable encore le fait d’avoir moi-même suivi cette formation. Il aurait fallu que je décrive – de loin, surtout de loin – ces apprentis assassins comme tous atteints d’une pathologie ou d’une névrose particulière, liées à des circonstances sociales terribles, ou comme des sous-produits du capitalisme américain délétère. Voilà qui aurait été acceptable.
“La lecture de mon manuscrit a provoqué chez certains de mes premiers lecteurs un rejet spectaculaire”
Pour votre livre sur les clochards de Paris, autres parias, vous vous êtes fait enfermer au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, où vous avez assisté à des scènes d’une grande violence… Vous avez poursuivi cette démarche dans le milieu des snipers ?
Quand j’ai enquêté au début des années 1980 sur les clochards de Paris, le Samu social ne venait pas vous porter assistance quand vous viviez à la rue. Vous étiez arrêté par la police et emmené de force à Nanterre pour toute la nuit. Il me paraissait essentiel de partager cette expérience car je suis convaincu qu’on comprend mal ce qu’on n’a pas vécu directement. J’ai reproduit cette démarche d’immersion en suivant ces formations de snipers, en m’y présentant comme un fanatique des armes, écœuré de ne pouvoir donner libre cours à mon supposé hobby en Europe où il n’existe pas d’écoles de snipers – hors univers militaire – qui ont pignon sur rue.
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