Pascal Chabot. À la recherche du temps perdu
Pourquoi nous laissons-nous si facilement voler notre temps par le travail mais aussi par les écrans ? Sommes-nous capables de nous le réapproprier dans toutes ses dimensions ? Nous avons invité Pascal Chabot, qui vient de publier Avoir le temps (PUF), à explorer nos expériences temporelles contemporaines en méditant sur six photographies.
Les lois de la nature

Manhattanhenge. Sur la 42e rue à New York, lors des solstices d’été et d’hiver, le soleil descend entre les façades (ici le 29 mai 2019). © Eduardo Munoz/Reuters
Ce que j’appelle le temps du Destin nous vient des civilisations anciennes. C’est le temps du cosmos, le rythme de la nature sur lequel nous n’avons aucune influence. La course du Soleil, dans le ciel, suit au fil de l’année une évolution qui lui est propre et que nous ne saurions modifier. De la même manière, la période de la gestation du petit humain – neuf mois – ou le nombre d’années que nous avons à vivre nous sont imposés. Dans cette temporalité du Destin, le passé règne en maître, dans la mesure où ce qui a été sera – à l’instar du solstice d’été qui revient périodiquement, des marées océaniques ou des phases de la Lune. Et, en même temps, tout a un terme, puisque la nature est régie par des processus de destruction et de recréation.
De toutes les pages Wikipédia, celle consacrée à “l’avenir de la Terre” est l’une des plus belles. Elle raconte comment, dans 1,1 milliard d’années, la luminosité du Soleil augmentera, les océans s’évaporeront lentement, le scénario le plus probable étant que notre planète se retrouve absorbée par le Soleil devenu une géante rouge d’ici quelque 7,5 milliards d’années. Je vois dans cette page la preuve de notre humilité aussi bien que de notre intelligence.
Par opposition à ce temps du Destin, cyclique et marqué par l’inéluctable, on a coutume d’affirmer que l’histoire humaine, tant du point de vue collectif qu’individuel, est linéaire. Lorsque nous parlons de la croissance ou du progrès, nous faisons le pari que cette ligne de l’histoire humaine est ascendante. Mais ce que cette photographie du Manhattanhenge saisit avec une sorte d’évidence, c’est que la linéarité n’a pas congédié la cyclicité. En effet, le temps de la ville iconique du Progrès, New York, peut encore être suspendu, arrêté au moment du solstice d’été, pour quelques minutes d’admiration presque archaïque, qui reconduisent les citadins à la nature. Le Manhattanhenge rappelle non seulement les monolithes de Stonehenge dans le sud de Angleterre, alignés dans l’axe du Soleil lors du solstice, mais aussi les cadrans solaires des Égyptiens. Ainsi, le Progrès n’a pas terrassé le Destin, et nos vies sont prises entre les deux schémas, entre la ligne et le cycle, sachant qu’à la fin, ce qui domine et l’emporte, ce sont les lois de la nature. »
Un rêve de maîtrise

Horloge astronomique (XIVe siècle) de la cathédrale Saint-Jean à Lyon. © Clément Guillaume/La Collection
« Sur cette horloge, on retrouve le Soleil, sculpté en bronze, placé au centre et anthropomorphisé. Mais ici, vous voyez s’exprimer une autre mentalité, un trait typique de la modernité. Il n’a pas fallu attendre René Descartes et son Discours de la méthode (1637), où il déclare que les hommes doivent se rendre “comme maîtres et possesseurs de la nature”, pour que le fantasme de la maîtrise technique soit déjà bien installé. Ici, c’est l’industrie humaine qui montre qu’elle peut modéliser et simuler les cycles cosmiques. Plus encore, les Modernes se sont mis à concevoir l’ensemble de la nature comme une immense mécanique et ils la comparent souvent à une horloge – dont Dieu serait l’horloger. La vision mécaniste et déterministe des débuts de la science moderne est largement subordonnée à cette métaphore horlogère.
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