Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© iStockphoto

C’est ton destin !

Nos vies sont-elles écrites à l’avance ?

Nicolas Tenaillon publié le 21 octobre 2021 5 min

Répétition du quotidien, étrange coïncidence des rencontres, sentiment que rien de ce qui nous arrive n’est dû au hasard ni provoqué par nos décisions… Ces impressions sont communément partagées et font l’objet de nombreuses mises en récit ou de locutions ordinaires, comme cette phrase bien connue des amoureux : « Nous étions faits pour nous rencontrer. »

D’où vient cette croyance que tous nos choix s’inscrivent dans une histoire déjà écrite ? Y aurait-il quelqu’un, quelque part, qui déciderait pour nous ? Il y a quelques siècles, l’idée de prédestination religieuse ou de destin permettaient d’y répondre. Mais la Modernité – avec sa valorisation du libre arbitre et de la Raison – a rebattu les cartes de nos existences. 

Voici comment, de Denis Diderot à Shoshana Zuboff, les penseurs ont traité cette question.  

 

  • Au XVIIIe siècle, un fatalisme matérialiste se substitue à la Providence divine des siècles précédents. Diderot, athée et matérialiste devant l’Éternel, affirme ainsi que la volonté est un simple mécanisme : « Nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, […] à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement » (Lettre à Landois de 1756). Sa physique sans métaphysique impose la nécessité naturelle à ce qui nous arrive, au point, selon Diderot, que « le mot liberté n’est qu’un mot vide de sens ». Dans Jacques le Fataliste et son maître, ledit Jacques incarne cette croyance ancienne dans un destin imaginé par Dieu : « Tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas est écrit là-haut », clame le héros, qui se montre bizarrement plus enthousiaste que résigné. Diderot ne cache pas sa sympathie pour lui : dans son œuvre, la nécessité divine est comme remplacée par les lois de la physique (il écrit moins d’un siècle après les découvertes de Newton). Mais contrairement au reste du monde naturel, Diderot rappelle que l’être humain a la pensée pour lui. L’homme est donc « modifiable » car il « combine des idées » (Éléments de physiologie), en jouant avec le cadre matériel qui lui est donné. Il est soumis aux lois de la Nature mais dispose tout de même d’une certaine liberté. 
  • À la fin du XIXe siècle, le progrès des études sur la psyché humaine renforce l’idée d’une vie écrite à l’avance. La psychanalyse vient jouer les trouble-fête chez les penseurs de la volonté libre, en expliquant que nos comportements et nos affects sont guidés par des pulsions inconscientes, profondément ancrées en nous. Dans l’article « Sur le plus général des rabaissements amoureux » (1912), Sigmund Freud soutient que, marqué à vie par l’amour originaire qu’il a nourri pour sa mère, toutes ses « pulsions de tendresse, de reconnaissance, de concupiscence […] sont satisfaites par l’unique désir d’être son propre père ». Les événements vécus durant la petite enfance, et notamment ceux dont nous n’avons pas de souvenir (que ces souvenirs soient trop lointains ou qu’ils aient été refoulés) conditionnent notre vie d’adulte, au point parfois de nous rendre névrosés, c’est-à-dire de reproduire des schémas nocifs et de s’enfermer dans une forme de fatalisme. La cure analytique, assurent les psychanalystes depuis un siècle, doit justement permettre de s’en défaire. Il s’agit, grâce à l’intermédiaire d’une tierce personne, de regarder en face la sombre vérité de notre moi intérieur et d’inventer un autre récit de vie pour s’en défaire – une vie où l’on cesse de se raconter des histoires. 
  • Mais le progrès technique de la fin du XXe siècle n’arrange rien à l’affaire, en particulier celui qui depuis l’invention de la cybernétique (c’est-à-dire de la machine intelligente : l’ordinateur), oriente nos choix sans que nous n’en ayons vraiment conscience. Avec le fameux big data collecté par les plateformes comme Google ou Facebook, nos goûts et nos convictions sont en partie identifiés, standardisés, voire réorientés en fonction d’intérêts extérieurs à notre personne. Tout ce qui nous apparaît comme nouveau est en fait suggéré par un algorithme, de sorte que ce sont les machines qui écrivent en partie le fil de nos journées : où nous prenons un café, dans quel magasin nous achetons tel manteau, etc. Comme l’explique Shoshana Zuboff dans L’Âge du capitalisme de surveillance (2020), Facebook peut « prédire six millions de comportements humains par seconde ». Ici, la vie devient « une matière malléable » dans les mains de ceux qui détiennent le pouvoir technique. De là, on pourrait conclure que nos choix, comme nos rendez-vous amoureux ou nos envies de voyages, sont illusoires car jamais véritablement authentiques : nous interprétons en permanence des signes (« Like », emoji, publicités, etc.) qui nous dictent non pas que penser mais ce à quoi penser. 
  • Malgré tout, le fait même qu’on puisse prendre conscience des déterminismes qui pèsent sur nos décisions laisse penser qu’ils ne sont pas une fatalité. Ainsi pour Jean-Paul Sartre, ni le matérialisme ni le scientisme ne sauraient avoir raison de notre liberté. C’est pourquoi, contre la psychanalyse freudienne, il propose dans L’Être et le Néant (1943) de comprendre les choix de la personne par une « psychanalyse existentielle », c’est-à-dire par une « psychanalyse qui ne connaît rien avant le surgissement originel de la liberté humaine ». Il s’agit d’interpréter le « projet » de l’individu en soulignant, à chaque fois, sa particularité et ses réajustements possibles. Certes, le monde extérieur conditionne a priori mes goûts, mes désirs ou mes préférences. Mais je peux toujours m’en extraire. Croire le contraire, c’est d’une certaine manière se mentir à soi : trouver une excuse pour ne pas construire son « projet », ce qui littéralement nous « porte vers l’avant ». C’est là l’objet de L’Idiot de la famille (1972), monumentale étude sur Gustave Flaubert, qui montre comment l’auteur de Madame Bovary, considéré par son père comme un idiot parce qu’il ne savait pas lire à 7 ans, a choisi de se réfugier dans son imaginaire pour devenir écrivain. 
Expresso : les parcours interactifs
Comment apprivoiser un texte philosophique ?
Un texte philosophique ne s’analyse pas comme un document d’histoire-géo ou un texte littéraire. Découvrez une méthode imparable pour éviter le hors-sujet en commentaire ! 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
10 min
Shoshana Zuboff : “Le capitalisme de surveillance transforme la vie en une matière malléable”
Martin Legros 25 septembre 2019

Et si les géants du Web ne cherchaient plus seulement à capter et à monétiser nos données, mais à prédire et à influencer nos comportements ? C…

Shoshana Zuboff : “Le capitalisme de surveillance transforme la vie en une matière malléable”

Bac philo
6 min
Corrigés du bac philo – filière technologique : extrait de l’“Encyclopédie”, de Denis Diderot
Mathias Roux 15 juin 2022

Dans ce texte de Denis Diderot, extrait de l’Encyclopédie qu’il a co-écrite avec d’Alembert, l’auteur explique à quelles conditions un témoignage…

Corrigés du bac philo – filière technologique : extrait de l’“Encyclopédie”, de Denis Diderot

Le fil
3 min
“L’Âge du capitalisme de surveillance”, de Shoshana Zuboff
Ariane Nicolas 28 septembre 2020

Censés faciliter notre quotidien, les outils technologiques et les algorithmes sont-ils vraiment à notre service ? Ou représentent-ils une forme inédite…

“L’Âge du capitalisme de surveillance”, de Shoshana Zuboff

Article
3 min
Diderot, la connaissance à la loupe
Victorine de Oliveira 27 octobre 2022

Avec l’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert se lancent dans une entreprise pharaonique, celle de cartographier l’état de la connaissance au siècle des Lumières. Une démarche scientifique qui s’appuie sur le matérialisme philosophique de…


Bac philo
2 min
L’inconscient
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

L’inconscient désigne négativement ce qui s’oppose à la conscience, ce qui en est dépourvu (comme l’état de sommeil) et positivement l’appareil psychique que décrit la psychanalyse, et qui serait la cause de la plupart de nos…


Article
21 min
Extraits de la “Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient”, de Denis Diderot
Denis Diderot 27 octobre 2022

La Lettre sur les aveugles est une œuvre emblématique des Lumières : son auteur Denis Diderot (1713-1784) fait mine d’aborder un sujet…

Extraits de la “Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient”, de Denis Diderot

Article
4 min
Hommage à Denis Diderot à l'occasion du tricentenaire de sa naissance
Cédric Enjalbert 05 octobre 2013

Denis Diderot, né le 5 octobre 1713 à Langres (Haute-Marne) aurait aujourd'hui 300 ans.


Bac philo
4 min
Corrigés du bac philo – filière technologique : “La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne ?”
Frédéric Manzini 15 juin 2022

Lorsqu’on obéit, par définition, on se soumet. À première vue, la liberté suppose donc l’absence d’obéissance. Mais cette définition de la liberté…

Corrigés du bac philo – filière technologique : “La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne ?”

À Lire aussi
Chantal Jaquet : “Toutes les existences sont déterminées, mais ce déterminisme n’est pas la négation de la liberté”
Chantal Jaquet : “Toutes les existences sont déterminées, mais ce déterminisme n’est pas la négation de la liberté”
Par Marie Denieuil
février 2022
Le fatalisme sans la résignation
Par Dominique Lecourt
septembre 2013
“L’enfer, c’est les autres” : quand Beauvoir contredit Sartre
“L’enfer, c’est les autres” : quand Beauvoir contredit Sartre
Par Octave Larmagnac-Matheron
janvier 2022
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Nos vies sont-elles écrites à l’avance ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse