Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Much Loved de Nabil Ayouch © Pyramide Distribution

Nabil Ayouch: “‘Il est plus simple de casser le miroir que d’y regarder son reflet”

Cédric Enjalbert publié le 14 septembre 2015 5 min
En salle dès le 16 septembre, “Much Loved” affronte le tabou de la prostitution, au Maroc. Avec ce film puissant, émouvant et courageux, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le réalisateur Nabil Ayouch donne un salutaire coup de projecteur sur une réalité qui dérange, au Maroc comme ailleurs. Le cinéaste revient sur les motivations artistiques et les ressorts anthropologiques de son travail.

La diffusion de Much Loved a été interdite au Maroc avant même que le film ait pu être visionné. Le film a été l’objet d’attaques très virulentes. Comment comprendre une réaction si brutale ?

Nabil Ayouch : Je ne m’attendais pas à ce que la polémique prenne une telle ampleur. Je prévoyais une confrontation d’idées, un débat animé voire un rejet de la part de certains. Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse être interdit par les autorités avant même d’être montré pour obtenir son visa. La situation est inédite : il est arrivé que la commission de visionnage des films interdise des films, rarement, mais le plus souvent elle demande simplement des coupes. Cette réaction catégorique laisse penser que la société marocaine a mal, très mal.

 

De quoi souffre-t-elle ?

Elle souffre de son incapacité à représenter, de son incapacité à dire, à agir et à s’exprimer. L’insulte, l’anathème et la menace de mort sont préférés au débat et à la discussion.

 

Qu’en est-il aujourd’hui, à la veille de la sortie du film dans les salles françaises ?

Les réactions se sont un peu calmées. Mais la haine demeure. La haine de soi et de l’autre, d’abord. Car Much Loved renvoie publiquement à une image de soi qu’au Maroc une partie de la population ne souhaite voir exister ni être véhiculée. Pour celle-ci, il est plus simple de casser le miroir que d’y regarder son reflet. Heureusement, un autre Maroc existe, qui veut pouvoir se confronter à la réalité et aux arts sous toutes leurs formes. Notre société est schizophrénique. Deux schémas contraires s’affrontent : un vent réactionnaire, de radicalisation, d’une part, et une défense des droits fondamentaux par la société civile, de l’autre. S'agissant de la prostitution, il s’agit d’une réalité bien connue de tous, dont on parle, mais qu’il ne faut pas de montrer. Notre contradiction repose sur cette hypocrisie : savoir n’est pas un problème, montrer l’est.


Les scènes « torrides » sont finalement assez rares…

Dans une seule scène les corps s’expriment réellement. La réaction de rejet est à chercher ailleurs : dans l’image de soi, de l’homme, de la société. Car si le film dévoile très peu les corps, il dévoile en revanche une large frange d’une réalité qui dérange.

 

Vous évoquez à ce sujet une « anthropologie inversée ». À quoi pensez-vous ?

Cette anthropologie inversée est un constat plutôt qu’une hypothèse de départ. J’ai réalisé que le front du refus vis-à-vis du film au Maroc et dans les pays arabes était sans doute à mettre au compte du renversement des préjugés anthropologiques, voulant que la femme soit subordonnée à l’homme. Le film montre une réalité inverse : les hommes sont comme au service de femmes guerrières, conquérantes, solidaires dans la douleur. Et drôles.

 

Avez-vous sollicité l’aide de sociologues ou d’anthropologues pour approcher cette vérité ?

Je n’ai pas réalisé d’enquête auprès des sociologues ou des anthropologues, comme lors de mes précédents films [Ali Zaoua prince de la rue en 2001 ou Les Chevaux de Dieu en 2013]. Je n’en ai pas ressenti le besoin. J’ai préféré pénétrer l’intimité de ces femmes, leur intérieur. Au travail d’analyse et d’enquête, j’ai préféré le travail d’écoute dans le temps, passionnant.


 

Le film emprunte au style documentaire…

Oui, mais il ne s’agit pas d’un film documentaire plutôt d’un film très documenté. Un an et demi de fréquentation et d’écoute des prostituées a précédé le tournage. Personne ne les sollicite jamais. Je pensais qu’elles ne se livreraient pas, que l’abord serait dur. J’imaginais que des barrières liées à la honte, à la pression de la société, à la protection de leur bien le plus précieux, à savoir la confidentialité, empêcheraient tout bonnement ces rencontres. En fait, non. J’ai découvert une volonté, de mon point de vue insoupçonnée et immense, de laisser s’exprimer des ressentis relevant de la peine et du chagrin. Le besoin de parler dépassait de très loin toutes les réserves. Pour certaines, qui n’ont pas hésité à me le formuler, je suis devenu un psy.

 

Un psy qui soulève les tabous.

Les tabous dont parle le film ne sont pas exclusivement liés à la société marocaine. Ils existent partout et tout aussi bien en France, où la question de la prostitution n’est pas réglée. L’an dernier encore, le Parlement discutait des sanctions à prévoir : pour le client, le proxénète, la prostituée ? À cette différence immense qu’en France on discute. Au Maroc, un « métadébat » s’est greffé à la question de la prostitution, suite à l’interdiction du film : la problématique de la liberté d’expression. Le débat autour du film de ce point de vue me paraît assez sain même si tous les esprits ne sont pas prêts à accepter l’échange et la réflexion.

 

La faute à un défaut d’éducation ?

L’école n’a assurément pas joué son rôle ces trente dernières années. L’enseignement de la philosophie et de la sociologie, par exemple, a été sortie du cursus scolaire au milieux des années 1970. Ces disciplines sont à nouveau enseignées depuis le début des années 2000 mais la génération des 25/30 ans, qui est dans le débat public, ou qui est censé l’être, y compris à travers les outils aussi dangereux et pervers que sont les réseaux sociaux, n’a pas été formée à la pensée critique.

 

Ce qui explique la violence des réactions ?

En partie sans doute.

 

Comment y avez-vous répondu ?

J’ai répondu à ces attaques par un grand silence car je fais partie de ceux qui ont pour conviction profonde qu’il n’est rien de mieux qu’un objet physique ou métaphysique pour parler et s’exprimer. En l’occurrence, quand le film sera diffusé, il sera le seul support de vérité, là où mes propres vérité n’intéressent pas grand monde. Plus personnellement, j’ai essayé de me défendre en insistant sur le fait que je n’ai pas pour projet avec Much Loved de créer le scandale mais bien d’exprimer des idées essentielles.


L’idée selon laquelle « monter c’est dire » vaut pour vous comme une conception forte du cinéma ?

Cette conception du cinéma fait partie de moi. Je ressens le besoin de me trouver imbibé, hanté par un sujet prenant sa source dans la société, dans l’environnement dans lequel je suis, je vis et j’évolue. Si mes films peuvent faire office de révélateurs, je me garde en revanche de tout jugement et de toute forme de morale : ni discours, ni message. Si bien que la difficulté du projet est plutôt née de la manière dont j’ai voulu réaliser le film, avec liberté et une totale indépendance, ce qui signifie très peu de moyens et un temps de tournage assez court, d’environ quatre semaines. Le tournage s’est déroulé tout en tension. Nous avions tous conscience de tourner un sujet sensible dans les conditions du réel. Nous devions donner beaucoup de nous-même en faisant voler en éclat certaines règles du cinéma classique.

 

Quelles sont ces règles ?

Je dirigeais une équipe réduite et nous tournions à des horaires improbables : nous « y allions » quand il le fallait, sans nous préoccuper réellement des autres contraintes. Je savais qu’il fallait pousser au plus loin dans la nuit pour toucher le cœur du film. Le projet était au service du réel et non l’inverse, contrairement aux conditions du cinéma classique, où tout est organisé au service du projet. Il nous a fallu être beaucoup plus disponibles et avoir une immense croyance dans la nécessité de ce film.

Expresso : les parcours interactifs
Comment apprivoiser un texte philosophique ?
Un texte philosophique ne s’analyse pas comme un document d’histoire-géo ou un texte littéraire. Découvrez une méthode imparable pour éviter le hors-sujet en commentaire ! 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
1 min
Paroles d’honneur. Quand la parole de la femme marocaine se libère
05 juillet 2021

Parmi les événements proposés par ce festival qui unit depuis dix ans musique et philosophie (lire p. 92), nous vous proposons d’assister à la…

Paroles d’honneur. Quand la parole de la femme marocaine se libère

Article
2 min
Razzia. Quand l’écran lève le voile
Cédric Enjalbert 19 mars 2018

En réalisant “Razzia”, le réalisateur Nabil Ayouch poursuit son exploration des paradoxes de la société marocaines.

Razzia. Quand l’écran lève le voile

Article
4 min
Le débat sur la prostitution: entre dignité et propriété de soi
Martin Legros 07 avril 2016

[Actualisation : la proposition de loi socialiste renforçant la lutte contre la prostitution a été définitivement adoptée par les députés mercredi…

Le débat sur la prostitution: entre dignité et propriété de soi

Article
7 min
Quand les féministes se déchirent sur la prostitution (1/2) : les arguments réglementaristes
Samuel Lacroix 31 mars 2022

« Travail du sexe » ou « viol tarifé » ? Ces dernières années, la prostitution est (re)devenue un motif d’âpres échanges…

Quand les féministes se déchirent sur la prostitution (1/2) : les arguments réglementaristes

Article
9 min
Quand les féministes se déchirent sur la prostitution (2/2) : les arguments abolitionnistes
Samuel Lacroix 31 mars 2022

« Travail du sexe » ou « viol tarifé » ? Ces dernières années, la prostitution est (re)devenue un motif d’âpres échanges…

Quand les féministes se déchirent sur la prostitution (2/2) : les arguments abolitionnistes

Article
19 min
Maroc. De la difficulté d’être athée en terre d’islam
Julia Küntzle 18 février 2016

Dans un royaume où l’incroyance est associée à l’immoralité et où les sceptiques sont mis au ban de la société, comment surgit le doute et comment…

Maroc. De la difficulté d’être athée en terre d’islam

Article
2 min
Pourquoi se regarde-t-on dans le miroir ?
Flora Malverde 15 février 2017

Tout est bon pour nous assurer de notre image : la glace de notre salle de bains, une vitrine de magasin, un rétroviseur, voire l’écran de notre smartphone… Pourquoi ne pouvons-nous pas nous passer de notre reflet ?


Article
7 min
Tabou de l’inceste : de Claude Lévi-Strauss à l’affaire Duhamel
Ariane Nicolas 08 janvier 2021

Y a-t-il plus grand tabou que l’inceste ? La parution du livre de Camille Kouchner, La Familia Grande, est l’occasion de questionner la loi…

Tabou de l’inceste : de Claude Lévi-Strauss à l’affaire Duhamel

À Lire aussi
Miroir, mon beau miroir…
Miroir, mon beau miroir…
Par Cédric Enjalbert
janvier 2018
Miroir, mon beau miroir
Par Sven Ortoli
avril 2014
“Enfin le cinéma !” au Musée d’Orsay : genèse du spectateur
“Enfin le cinéma !” au Musée d’Orsay : genèse du spectateur
Par Cédric Enjalbert
octobre 2021
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Nabil Ayouch: “‘Il est plus simple de casser le miroir que d’y regarder son reflet”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse