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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Paul Blondé et Julia Küntzle

Reportage

Maroc. De la difficulté d’être athée en terre d’islam

Julia Küntzle publié le 18 février 2016 19 min

Dans un royaume où l’incroyance est associée à l’immoralité et où les sceptiques sont mis au ban de la société, comment surgit le doute et comment vit-on avec ? Nous sommes allés à la rencontre des athées du Maroc, jeunes gens qui avaient espéré dans la foulée des printemps arabes que la liberté de conscience aurait enfin droit de cité. Récit d’un combat pour l’émancipation.

« Au Maroc, que tu croies ou pas, que tu pratiques ou pas, tu es musulman, point. À vie. » Kader, photographe indépendant d’une trentaine d’années, est arabe et marocain. Ce qui fait de lui, du point de vue de la loi, de la Constitution et de la société de son pays, un musulman.

En 2011, quelques mois après la vague de manifestations du mouvement du 20-Février (réplique du printemps arabe au Maroc), le roi Mohammed VI a mis en œuvre une révision de la Constitution. Le parti islamiste au pouvoir (Parti de la justice et du développement, PJD) menaçait de ne pas la voter si cette dernière garantissait la liberté de conscience, arguant qu’elle « porterait atteinte à l’identité islamique du pays ». Sur le plan religieux, la Constitution, révisée en juillet 2011, affirme désormais que « l’islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ». « La loi est très floue, explique l’activiste Ibtissam “Betty” Lachgar, cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles [Mali]. Mais dans les faits, tout Marocain est censé être musulman – à l’exception des juifs qui ont un statut particulier. Lorsqu’on se revendique d’une autre religion, on se retrouve face à un article qui condamne à un an de prison pour prosélytisme, du fait d’avoir ébranlé la foi d’un musulman. » Encore aujourd’hui, au Maroc, manger ou boire en public pendant le ramadan est passible de six mois de prison ferme. La Moudawana, le Code du statut personnel – qui équivaut au droit de la famille –, est fondée sur le droit musulman. L’enseignement de l’islam sunnite de rite malékite est, lui, obligatoire à l’école.

Pourtant, le Maroc, soucieux de son image à l’étranger, affirme régulièrement être l’exemple d’un Islam modéré, ouvert et tolérant, qui le protège de l’Islam radical, notamment du wahhabisme. La comparaison avec cette doctrine politico-religieuse rigoriste, celle de l’Arabie Saoudite, le « Grand Satan » islamiste, revient d’ailleurs presque immanquablement dans les conversations sur le sujet avec les Marocains, inquiets de l’influence saoudienne. Bien entendu, la société marocaine n’est pas la société saoudienne, qui rend l’apostasie passible de la peine de mort par décapitation au sabre. Pour autant, les témoignages des athées marocains que nous avons rencontrés, comme Kader, démontrent qu’il est extrêmement difficile, dans le royaume chérifien, de vivre au quotidien avec une vision du monde non religieuse. Dès lors, comment ne pas croire au sein d’un monde croyant ? Comment naît le doute ? Comment survient et évolue la différence ? Et comment se positionner dans cette société en tant qu’athée ?

Ces questions, soulevées par les témoignages des parcours du combattant des athées marocains, nous invitent dans un premier temps à relire L’Incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, de Lucien Febvre, publié en 1942. Rabelais a parfois été reconnu comme le héraut des athées du XVIe siècle. En analysant méticuleusement le rapport de l’auteur de Gargantua à la religion, l’historien démontre l’impossibilité pour les humanistes de véritablement se penser athée. Pour comprendre Rabelais, « dessinez d’abord la courbe de son époque », écrit-il. S’il est évident que le Maroc n’est pas la France du XVIe siècle, force est de constater que les athées dénoncent ce que Febvre définit comme « la prise insidieuse et totale de la religion sur les hommes. Car tout cela se fait sans qu’on y pense. Sans que la question même soit posée par personne de savoir s’il peut, s’il doit en aller autrement. Les choses sont ainsi ».


 

« Secouer le joug commun »

Les athées âgés d’une vingtaine à une quarantaine d’années que nous avons rencontrés ont été de pieux enfants comme les autres. « Quand j’étais petit, se rappelle Hicham, 35 ans, j’allais tout le temps à la mosquée. J’étais le bon élève qui apprenait des versets du Coran à ses parents. » Tout comme Simo, 26 ans, élevé dans une famille salafiste : « Enfant, je trouvais ça cool, l’islam ! J’ai suivi une éducation islamique à l’école coranique. À l’école publique, je donnais des cours de religion à mes camarades et je leur expliquais comment faire les prières. » Or, « pour secouer le joug commun, estime Febvre, il faut tout de même de bonnes raisons. Mais de quel ordre ? »

Pour Nadia, fraîchement diplômée en génie civil, c’est la confrontation à la mort qui a glissé un grain de sable dans son système de pensée : « À la mort de mon père, lorsque j’avais 13 ans, se souvient cette jeune femme de 27 ans en allumant cigarette sur cigarette, les gens m’affirmaient qu’il était au paradis et que je le retrouverais là-bas si je faisais ce qu’il fallait ici-bas. Mais je ne les comprenais pas. Quelque chose manquait : “Pourquoi la mort ?” “À quoi ressemble ce Dieu ?” “Pourquoi a-t-il décidé de ça ?” Ma famille et mes amis m’arrêtaient tout de suite : “Tu n’as pas le droit de questionner la religion, qui est sacrée et parfaite, c’est haram [‘interdit’].” » Dans un monde où la question de l’enfer ou du paradis régit tous les faits et gestes, Asma raconte, tendue, qu’elle s’est interrogée au moment de la découverte de son homosexualité, à 11 ans : « Je me suis demandée pourquoi l’homosexualité était punie, alors que Dieu lui-même m’avait créée lesbienne. C’était contradictoire. Mais comme je savais que je risquais l’enfer, j’ai préféré enfouir toutes ces questions dans un coin de ma tête. » En d’autres termes, Nadia et Asma, bouleversées par les événements, commencent à se poser une question quasi révolutionnaire : cette justice est-elle juste ?

Selon Febvre, Rabelais et ses contemporains humanistes du XVIe siècle n’avaient pas à leur disposition « l’outillage mental » de l’athéisme, dont nous disposons aujourd’hui. Le jour où « il y aura une vérité, dans le domaine des sciences », n’était alors pas venu. Et la philosophie n’est, selon lui, rien de plus qu’« un pullulement de doctrines et de pensées ». Pour Febvre, l’absence de concepts philosophiques et de démonstrations scientifiques interdisait donc à Rabelais « le sens de l’impossible ». Mais aujourd’hui au Maroc, une « bonne raison » n’est pas forcément nécessaire « pour secouer le joug commun ». Le monde a changé, depuis le XVIe siècle, et « l’incroyance varie avec les époques ». Hicham, Simo, Nadia et Asma ont certes grandi dans une société religieuse laissant très peu de place aux autres visions du monde. Il n’empêche que Rabelais n’allait pas sur YouTube et Wikipédia en un clic. Eux, si. Et ils ont découvert la philosophie, la science et… le rock’n’roll. « Quand je suis entré au lycée à 15 ans, se rappelle Hicham, j’ai détesté mon premier cours de philosophie. Je suis allé voir le professeur, et je l’ai interpellé : “Pourquoi la philosophie pose-t-elle toutes ces questions inutiles, puisque notre religion nous donne déjà toutes les réponses ?” C’était une question bête d’adolescent sûr de lui. Il m’a répondu : “Non, il y a toujours des questions, parce que nous sommes des êtres humains, et que nous sommes changeants.” Cette phrase m’est longtemps restée en tête. »

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