Hors-série "Stoïcisme"

Musonius Rufus : "Nous souffrons pour une bonne cause"

publié le 2 min

Extrait. Musonius Rufus, le maître stoïcien d’Épictète, exhorte à endurer les épreuves avec fermeté. Celles-ci sont le lot commun de la vie humaine, autant souffrir pour une bonne cause : pour remplir son devoir, pour cultiver la vertu. 

 

« Afin d’affronter plus facilement et plus joyeusement les épreuves que nous pouvons nous attendre à subir au nom de la vertu et de la bonté, il est utile de rappeler les épreuves que les gens endureront pour des fins indignes. Ainsi, par exemple, songez à ce que les amoureux intempérés subissent au nom de mauvais désirs, et combien d’efforts les autres dépensent au nom du profit, et combien de souffrances endurent ceux qui cherchent la gloire ; gardez à l’esprit que tous ces gens se soumettent volontairement à toutes sortes de labeurs et de privations. N’est-il pas monstrueux qu’ils endurent de telles choses sans récompense honorable, alors que nous, pour le bien idéal – c’est-à-dire non seulement l’évitement des maux, mais aussi l’acquisition de la vertu, qu’on pourrait qualifier de fournisseur de tous les biens – ne sommes pas prêts à supporter toutes les épreuves ? […]

Puisqu’en général le labeur et la misère sont une nécessité pour tous les hommes, tant pour ceux qui cherchent les meilleures fins que pour ceux qui cherchent les pires, il est absurde que ceux qui poursuivent les meilleures ne soient pas beaucoup plus enthousiastes dans leurs efforts que ceux pour qui il y a peu d’espoir de récompense pour toutes leurs douleurs. Pourtant, quand nous voyons des acrobates faire face sans se soucier de leurs tâches difficiles et risquer leur vie même en les exécutant, en culbutant sur des épées retournées ou des cordes de marche placées à une grande hauteur ou en volant dans les airs comme des oiseaux, où un faux pas signifie la mort, tout ça pour une récompense misérablement petite, ne serions-nous pas prêts à endurer la misère pour le bonheur complet ? Car il n’y a pas d’autre fin pour devenir bon que de devenir heureux et de vivre heureux pour le reste de notre vie. […]

Il est donc d’autant plus approprié que nous restions fermes et endurants, puisque nous savons que nous souffrons pour une bonne cause, soit pour aider nos amis ou pour le bien de notre ville, soit pour défendre nos femmes et nos enfants, soit, mieux et plus impératif, pour devenir bons, justes et autocontrôlés, un état que nul homme n’atteint sans épreuves. Il me reste à dire que l’homme qui ne veut pas se dépenser est indigne du bien puisque “nous gagnons tout le bien par le travail.” »

 

Musonius Rufus, Discours et Fragments, trad. disponible en lignehttps://musoniusrufushome.wordpress.com/

 

Musonius Rufus (v. 25-95), philosophe stoïcien de l’Empire romain

C’est auprès de lui qu’Épictète, jeune esclave, fit son initiation à quinze ans à Rome. Sa philosophie, rapporte l’historien Tacite, consiste à définir les règles régissant la conduite quotidienne (y compris pour l’alimentation – qui doit exclure la consommation de viande –, les soins du corps, les vêtements…) ; toute connaissance doit être utile à l’action. Il soutenait que les femmes devaient être formées à la philosophie comme les hommes. Son enseignement nous a été transmis par deux de ses disciples dans les Discours et Fragments.

 

 

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