Maxime Blasco, tombé au Mali : le retour de l’héroïsme antique

Un hommage national à Maxime Blasco, tué par des djihadistes au Mali le 24 septembre, est rendu ce mercredi aux Invalides à Paris. Par les qualités dont il a fait preuve durant tout son service, ce caporal-chef de 34 ans réactive une figure du héros que l’on croyait parfois disparue. Non pas l’héroïsme du quotidien dans la vie ordinaire, mais celui, audacieux, sacrificiel et exemplaire, du soldat. Le retour d’une éthique antique, qui marque peut-être notre sortie progressive d’une époque de paix.

• Maxime Blasco, une vie héroïque. La mort du caporal-chef, tué par des djihadistes au Mali le 24 septembre, frappe d’autant plus que cet officier était déjà connu pour ses actions héroïques. En mission au Tchad ou au Sénégal, puis au Mali, à partir de 2014, dans le cadre des opérations Sangaris et Barkhane, ce tireur de précision s’illustre au cours d’une opération particulièrement terrible en 2019. Alors que son hélicoptère est touché et doit se poser en urgence, il parvient, blessé, à extraire de l’appareil deux hommes qu’il entraîne vers un autre hélicoptère, sous le feu des terroristes. Il les arrime à l’appareil et s’accroche lui-même à la force des bras au train d’atterrissage. Décidé à retourner au Mali après s’être remis de sa blessure, il finira par y trouver la mort.
• De l’héroïsme antique au courage du quotidien. Cette détermination dans la bravoure militaire frappe à une époque où beaucoup de nos contemporains pensent en avoir fini avec les grandes figures de la vaillance martiale. Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique (1835-40), affirme que l’ère démocratique dans laquelle nous vivons oblitère les valeurs aristocratiques animant des hommes d’exception au cours de batailles épiques. Ennemies des distinctions trop saillantes entre les hommes, nos sociétés démocratiques mettent davantage l’accent sur les héros, civils, du quotidiens – comme ceux que nous avons applaudis durant la crise du Covid. Tocqueville écrit ainsi : « Les âmes ne sont pas énergiques ; mais les mœurs sont douces et les législations humaines. S’il se rencontre peu de grands dévouements, de vertus très hautes, très brillantes et très pures, les habitudes sont rangées, la violence rare, la cruauté presque inconnue. […] L’esprit humain se développe par les petits efforts combinés de tous les hommes, et non par l’impulsion puissante de quelques-uns d’entre eux. » (De la démocratie en Amérique, 2).
• Le retour du courage jusqu’à la mort. C’est pourtant une figure antique du courage qu’incarne Blasco. L’un de ses supérieurs, le colonel Erwan Le Clavez évoque une personne « qui impressionnait tout le bataillon […] parce que c’était une personnalité un peu hors du commun. Et c’était quelqu’un qui rayonnait tout en restant humble. C’est un peu l’apanage des grands hommes. » Décidé à exercer son courage sur le terrain de la guerre, il incarne cette évidence de l’héroïsme qui porte en elle, outre l’audace et la résistance, l’acception de sa propre mort. Il rejoint ainsi la conception antique de la « belle mort », qui fait coïncider le sacrifice personnel et l’éclat dans la mémoire collective. Il répond parfaitement à la définition antique de l’héroïsme qui se manifeste dans un grand texte de Lysias (V^e siècle avant notre ère), l’Éloge funèbre des guerriers d’Athènes morts en secourant les Corinthiens. Le célèbre orateur loue ceux qui, « sans calculer le péril, pénétrés de cette idée que mourir pour une noble cause, c’est vivre pour une gloire immortelle, loin d’être effrayés par la multitude de leurs adversaires, n’en eurent que plus de confiance dans leur courage ». Si les djihadistes font eux-mêmes grand cas de l’idée de sacrifice « pour une gloire immortelle », force est de constater que cet idéal, millénaire s’il en est, n’a pas totalement disparu de notre côté. Et qu’il se différencie des conceptions terroristes au moins sur un plan, fondamental : le soldat cherche à protéger la vie par sa mort, tandis que dans son discours sacrificiel, le martyr djihadiste exalte la mort pour la mort.
• Le courage de Maxime Blasco montre deux choses : que cet héroïsme jusqu’à la mort existe donc encore dans nos sociétés, et que ses résurgences de plus en plus fréquentes (que l’on pense à l’action du gendarme Arnaud Beltrame qui, en 2018, s’est substitué à des otages d’une attaque terroriste à Trèbes et a été tué) nous font en partie revenir à une époque où la guerre, ses atrocités et ses grandeurs, fait retour dans nos existences.