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Jean-Louis Trintignant et Françoise Fabian dans “Ma nuit chez Maud” (1969), d’Éric Rohmer. © Collection Cristophel/FFD/Les Films de la Pléiade/AFP

Hommage

“Ma nuit chez Maud” : et Trintignant réinventa le pari de Pascal

Ariane Nicolas publié le 21 juin 2022 4 min

L’acteur Jean-Louis Trintignant, disparu vendredi, avait joué dans l’un des films les plus explicitement philosophiques qui soient, Ma nuit chez Maud (1969), d’Éric Rohmer. Dans ce film, il campe un ingénieur catholique qui retourne travailler à Clermont-Ferrand, la ville natale de Blaise Pascal. Le philosophe janséniste revient régulièrement dans les conversations – très écrites – entre son personnage, Jean-Louis, et ses deux acolytes d’un soir, Vidal (Antoine Vitez) et Maud (Françoise Fabian). Retour sur une œuvre culte, où le pari de Pascal occupe une place centrale.

 

  • Dans Ma nuit chez Maud, le héros et narrateur Jean-Louis tombe par hasard sur un ancien camarade de lycée, Vidal, devenu professeur de philosophie et marxiste. Au café, ils ont une discussion autour de Pascal, philosophe et mathématicien emblématique de cette ville industrielle du Massif central. « Ah tiens, Pascal…, commente Jean-Louis Trintignant, de sa voix languissante et métallique. C’est curieux, je suis justement en train de le relire en ce moment. Je suis très déçu. D’abord, j’ai l’impression de le connaître presque par cœur, et puis ça ne m’apporte rien. Je trouve ça assez vide. Dans la mesure où je suis catholique, ou tout du moins j’essaie de l’être, ça ne va pas du tout dans le sens de mon catholicisme actuel. C’est justement parce que je suis chrétien que je m’insurge contre ce rigorisme. Ou alors si le christianisme c’est ça, je suis athée. »
  • La conversation se concentre alors sur la pertinence du pari pascalien. Ce pari, que Pascal fait dans ses Pensées, consiste à expliquer pourquoi il est plus rationnel de croire en Dieu que de ne pas croire en lui : « Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est, écrit Pascal. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est sans hésiter. – Cela est admirable. Oui, il faut gager. » Si je fais le pari que Dieu existe, et que Dieu existe en effet, je gagne la vie éternelle. Jackpot ! Pascal joue ici sur ce que l’on appelle « l’espérance mathématique », à savoir le fait qu’une mise toute petite peut rapporter un gain infiniment plus grand. Or si je perds le pari et que Dieu n’existe pas, je ne perds rien puisqu’aucune vie éternelle ne m’est promise. Preuve, pour Pascal, qu’il est mathématiquement plus indiqué de croire en Dieu que de ne pas croire.
  • Mais Jean-Louis juge le pari de Pascal assez vain. Dans une conversation qu’il a chez Maud, la femme libre d’esprit chez qui Vidal l’emmène dîner, il remarque : « Dans le cas de Pascal, l’espérance mathématique est toujours infinie. À moins que la probabilité de salut ne soit nulle, puisque l’infini multiplié par zéro égale zéro. Donc l’argument ne vaut rien pour quelqu’un qui est absolument incroyant. » Premier grief, Pascal ne prêche que les convaincus, selon Jean-Louis. Pour parier, il faut déjà imaginer que le salut puisse exister. Vidal le concède, et confronte alors Jean-Louis à son propre rapport au pari et au jeu : « Tu ne paries pas, tu ne hasardes pas, tu ne renonces à rien. » Petite pique, qui donne lieu à un échange savoureux :

— “Si, il y a des choses auxquelles je renonce, rétorque Jean-Louis.
— Pas le chanturgue !
— Mais le chanturgue n’est pas un jeu, pourquoi y renoncer ? Ce que je n’aime pas dans le pari, c’est l’idée de donner en échange, d’acheter son billet comme à la loterie
[…] Quand je choisis le chanturgue, je ne le choisis pas contre Dieu”

  • Jean-Louis reproche à Pascal son jansénisme, cette vision rigoriste de la chrétienté qui conduira le philosophe, « notamment à la fin de sa vie », à condamner les plaisirs et jusqu’à l’exercice des mathématiques mêmes, voyant dans toutes ces pratiques des « divertissements » qui l’éloignent de Dieu. Jean-Louis reste un jouisseur, qui aime les femmes et le bon vin. S’il refuse l’idée de pari, c’est d’abord parce qu’elle oblitère totalement la question du désir. La foi en Dieu, ou dans une personne, ou dans la beauté de la vie, ne peut embrasser la logique d’un calcul froid et désincarné.
  • Faut-il pour autant tout rejeter dans le pari de Pascal ? Pas d’après Vidal, marxiste et athée qui se révèle paradoxalement bien plus pascalien que son camarade. Il assure à Jean-Louis, au café : « Pour un communiste, ce texte du pari est extrêmement actuel. Au fond, je doute profondément que l’histoire ait un sens. Pourtant, je parie pour le sens de l’histoire, et je me trouve dans la situation pascalienne. Hypothèse A : la vie sociale et toute action politique est totalement dépourvue de sens. Hypothèse B : l’histoire a un sens. Je ne suis absolument pas sûr que la B ait plus de chances d’être vraie que la A. Néanmoins, je ne peux pas ne pas parier pour l’hypothèse B parce qu’elle est la seule qui me permette de vivre. » Un marxiste janséniste ? À peine croyable ! Mais Vidal point une chose importante. Peut-être au fond ne sommes-nous que des machines à calculer, qui croyons adhérer librement à des idées alors que nous ne faisons que soupeser inconsciemment des informations. « Chez Pascal, le mathématicien et le métaphysicien ne font qu’un », dit encore Vidal. Croire, choisir, parier, serait-ce une seule et même chose ?
À lire aussi : notre grand entretien de 2007 avec Éric Rohmer
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