L’intuition de la totalité
Pour Lou Andreas-Salomé, l’individu cherche en permanence à renouer avec le Tout. Ce désir fusionnel à l’œuvre chez l’enfant, elle l’observe aussi dans l’amour ou l’acte de création, qui participent, selon elle, d’un même élan vital primordial.
Dieu
Aux yeux de Lou Andreas-Salomé, Dieu n’est pas un Père, mais un Grand-Père. Non pas la figure archaïque du juge d’une humanité pécheresse, mais le complice bienveillant d’une enfance ludique. C’est par un chapitre intitulé « L’Expérience de Dieu » qu’elle ouvre Ma vie, son autobiographie. Pour Lou enfant, le Dieu personnel aura été l’adjuvant d’un délicieux sentiment de toute-puissance, un allié fantasmatique contre la fatalité d’être un individu distinct du reste du monde. Dieu participe ainsi du principe de plaisir, autorisant la satisfaction de pulsions (érotisme, puissance) que rien ne doit freiner ; il meurt avec l’enfance et l’émergence de la conscience individuelle. La mort de Dieu est ainsi accession au principe de réalité, qui exige un compromis entre la satisfaction des pulsions et les contraintes extérieures. Freud, dans Malaise dans la culture, analyse l’instinct religieux comme un stade psychique inférieur, un « sentiment océanique […] d’union indissoluble avec le grand Tout et d’appartenance à l’universel », appelé à être dépassé. Mais Lou Andreas-Salomé le conserve comme la possibilité d’un « retour au Tout » : « La vie, au-delà de ses transformations et de ses bouleversements, au-delà de ses scissions et de ses développements, devient un chemin de Dieu vers Dieu » (Création de Dieu). Certes, l’homme invente Dieu pour affronter la vie. Mais, même sans Dieu, l’affirmation de la vie reste, en son essence, religieuse. Nietzsche lui-même trahit « la séquelle de l’instinct religieux chez le penseur » (Friedrich Nietzsche à travers ses œuvres). Dans cette vision panthéiste, inspirée du romantisme allemand et de sa lecture mystique de Spinoza, Dieu n’est jamais transcendant ; il est une totalité immanente et dynamique qui nous rappelle en deçà ou au-delà des limites de l’individualité.
Enfance
« Un instant auparavant, nous étions un tout indivisible, tout Être était inséparable de nous ; et voilà que nous avons été projetés dans la naissance, nous sommes devenus un petit fragment de cet Être et devons veiller désormais à ne pas subir d’autres amputations »
(Ma vie). La naissance est d’abord dépossession, séparation primordiale. Elle est ce principe d’individuation traité par Schopenhauer sur le mode tragique de cette frustration perpétuelle d’un être fini face à ses désirs infinis. Pourtant, le secret de l’enfant est de l’ordre de la réminiscence d’une participation au Tout. Ce secret, l’enfant le partage avec l’artiste. Qu’elle compare ses propres romans aux histoires qu’elle inventait étant enfant, ou qu’elle observe chez Rilke cette zone de proximité entre la création poétique et l’inconscient, Lou Andreas-Salomé rapproche l’art du rapport infantile au monde. Pour l’enfant dans ses jeux, comme pour l’artiste dans sa création, les forces plastiques du rêve et de l’action se confondent, les limites individuelles se brouillent, la vie tout entière est affirmée : « C’est comme le grand mythe d’une participation inaliénable à la toute-puissance » (Ma vie). À la fin de son existence, la psychanalyste se méfiera de la normalisation du sujet adulte (ce que son amie Anna Freud a appelé « les mécanismes de défense du moi »), car la constitution progressive de la conscience fait disparaître le miracle de l’enfance, où « vrai et réel se confondent encore ». L’état d’enfance, s’il est vulnérable, reste un modèle existentiel indépassable : il est désir d’union fusionnelle avec le Tout, comme on en fait l’expérience – au-delà du choix d’un objet – dans l’art, l’amour ou la maternité.
En partenariat avec les Presses universitaires de France, Philosophie magazine propose chaque jour une entrée du «Dictionnaire philosophique» d'André Comte-Sponville. Aujourd'hui: « Féminité ».
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