Débat

L’identité nationale en questions

Emmanuel Giannesini publié le 12 min

« Je dis, il y a une identité nationale qui n’est pas réductible à une ethnie, c’est choquant ? Je dis que les immigrés qui vont nous rejoindre doivent adhérer à cette identité nationale, c’est choquant ? » En pleine campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy choisissait de répondre aux critiques contre son futur ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement par un appel au bon sens populaire. Malgré les réserves de Simone Veil, malgré la pétition d’historiens parmi les plus respectés du pays, le futur Président parvenait à imposer le thème d’une nation en danger dans son discours. Gadget démagogique, dérive nationaliste ou formulation d’une inquiétude face à la dissolution des nations dans l’Europe et la mondialisation ? Le débat sur l’identité nationale oblige à revenir sur un des piliers de notre histoire, la conception française de la nation.

 

Qu’est-ce que le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement ?

Ce fut la première ombre à l’état de grâce présidentiel. Le 18 mai dernier, huit historiens et sociologues démissionnaient du comité d’orientation de la Cité nationale d’histoire de l’immigration (CNHI) considérant que la juxtaposition des termes « immigration » et « identité nationale » suggérait que la première est une menace pour la seconde. Nicolas Sarkozy avait, quant à lui, plaidé la normalité : « Sur les quinze pays de l’Union avant l’élargissement, il y en a quatorze qui ont un ministère de l’Immigration, un seul qui n’en a pas : c’est nous. » (TF1, 14 mars) En réalité, à l’exception du Luxembourg, aucun pays européen ne dispose d’un ministère faisant mention de l’immigration dans sa dénomination. Mais au-delà de cette petite exagération de campagne, qu’est au juste ce ministère ? Le décret qui fixe ses attributions réserve un développement à chacun des termes « immigration », « intégration » et « codéveloppement », mais ne le fait pas pour l’identité nationale, dont il est simplement dit que le ministère assure la promotion. La liste des administrations sur lesquelles le ministre a autorité correspond à tout ce qui existe en matière de police et d’accueil des étrangers, mais ne compte aucun organisme à portée prospective ou intellectuelle. Administration de police, il ne dispose a priori ni des moyens ni de l’aura pour restaurer le consensus autour de la question de la France.

 

Qu’est-ce que l’identité nationale, en France ?

Jusqu’à aujourd’hui, on pouvait parler de consensus républicain sur l’identité nationale. Droite et gauche n’en ont jamais partagé la même vision, mais sa traduction politique, c’est-à-dire la définition de la souveraineté et l’accès à la citoyenneté qui en découlent, s’est perpétuée sous les régimes successifs (à l’exception notable de celui de Vichy) autour de la fameuse « conception française » forgée sous la Révolution. Cette conception correspond à une acception politique – et non culturelle ou naturaliste – du fait national. Dans Qu’est-ce que le tiers-état ?, Emmanuel Sieyès énonçait ainsi : « Qu’est-ce qu’une nation ? Un corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature. »

Une telle définition laisse entière la question de l’identité ainsi forgée, qui n’est pas nécessaire à la formation de l’espace commun déterminé de façon tautologique, comme chez Aristote, par l’ensemble de ceux qui y participent. À ce titre, rien ne distingue une nation démocratique d’une autre. Même si la droite n’a jamais adhéré à cette conception en creux, elle s’en est satisfaite pendant deux siècles, car elle permettait d’instiller un ferment d’unité à une population et à un territoire qui en étaient dépourvus. C’est ce qui explique que la quasi-totalité des historiens se retrouve autour de l’adage selon lequel en France, c’est l’État qui a construit la nation (1).

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