L’identité en pièces

Le problème de l’identité a envahi les débats et la conscience collective. À tel point qu’il « mobilise les émotions et capte les angoisses, échappe à la rationalité et aux règles classiques de la disputatio », affirme l’anthropologue Régis Meyran dans son nouvel essai vivifiant, le bien nommé Obsessions identitaires (Textuel, 2022). Tout l’enjeu de sa réflexion tient à démêler certains malentendus pour distinguer deux grands types d’identité : les « ouvertes », portées par les minorités, attachées à une identité inclusive et émancipatrice, et les « fermées », soutenues par des mouvements identitaires.

L’identité comme compensation à la “crise d’appartenance”

Pour Meyran, l’identité est d’abord un moyen d’améliorer le sort des individus en « crise d’appartenance ». Ces droits des minorité ne viennent que s’ajouter aux autres droits individuels, sans les concurrencer. Meyran soutient que « c’est aujourd’hui encore la position la plus commune chez les tenants des politiques de l’identité ». En proposant une généalogie précise de la question identitaire dans l’histoire de la pensée politique depuis la fin du XIX^e siècle, l’auteur clarifie les différents seuils d’une problématisation directement indexée sur la lutte pour l’égalité. Cette filiation dit combien la conception ouverte de l’identité, résultant d’une crise d’appartenance entre deux mondes, est caractéristique des minorités discriminées ou stigmatisées. Or, « cette crise se résout en général de façon constructive dans l’affirmation identitaire qui mène à l’émancipation politique ».

L’identité comme expression d’une panique morale

Cette affirmation identitaire peut aussi se raidir dans des identités figées et fermées, essentialisantes, fondées sur le ressentiment, le mythe identitaire de la race, de la culture ou de l’autochtonie supposée. Rappelant les dérives de certains mouvements antiracistes, Meyran précise toutefois que ce mythe identitaire fut d’abord inventé au sein de l’extrême droite française (de Barrès défendant l’enracinement à Alain de Benoist faisant l’éloge du différentialisme culturel).

Cartographiant plusieurs cas récents de paniques identitaires, l’auteur constate la prédominance d’une vision fermée de l’identité dans le débat public. « Depuis deux décennies en France, la vision fermée de l’identité devient dramatiquement présente dans l’espace public, alors que les tenants de l’identité ouverte sont inaudibles ou diabolisés. Le débat est biaisé à partir du moment où des conservateurs d’extrême droite ou des nationaux-républicains, défendant des identités fermées, accusent d’identitarisme l’ensemble des mouvements antiracistes ou féministes », écrit Meyran. Pour lui, la nouvelle génération de militants antiracistes cherche en effet avant tout à faire entendre des voix trop longtemps minorées au nom d’un universalisme républicain aveugle à la couleur, négligeant les demandes spécifiques des groupes minoritaires.

Arracher l’identité aux identitaires ?

Comment s’extirper de cet affrontement délétère entre deux conceptions politiques opposées pour redonner du crédit au concept même d’identité ? En l’arrachant aux identitaires, en refusant les mythologies et paniques identitaires, en recomplexifiant les identités, pour les rattacher à une construction historicisée, plurielle, jamais figée. « Les obsessions identitaires prennent de plus en plus de place dans l’espace public français : elles apparaissent soit sous forme d’idéologies dûment constituées – identité nationale, grand remplacement, identités fermées –, soit sous forme d’émotions collectives anxiogènes – paniques identitaires. » Contre le retour en force des principes schmittiens – essentialisation et altérisation radicale de la figure de l’ennemi, mépris de l’humanité commune… –, Meyran nous propose de réapprendre à « institutionnaliser le conflit » de façon à instaurer un dialogue assumé comme conflictuel entre adversaires politiques. Et de réapprendre à nous concevoir comme des individus composés d’identités plurielles, reliés aux autres et au monde par leur multiplicité même.

Obsessions identitaires, de Régis Meyran, vient de paraître aux Éditions Textuel. 144 p., 15,90€, disponible ici.