“Les Vrais Sages sont des rebelles”, de Chiara Pastorini et Perceval Barrier

Une histoire de la philosophie, de l’Antiquité à nos jours, racontée à travers 22 entrées de BD, allant de Socrate et Platon à Hannah Arendt et au transhumanisme, en passant par Diogène, Hypatie, Montaigne ou Descartes, alliant contexte historique, anecdotes amusantes, idées phares et règles pratiques à en tirer dans la vie de tous les jours… C’est le défi de cet ouvrage, réalisé à deux voix par la philosophe Chiara Pastorini et le dessinateur Perceval Barrier. Avec une orientation forte qui transparaît dans toutes les planches : le geste de pensée, dans la mesure même où il conduit les philosophes à conformer leur vie à leurs idées, est indissociable d’une rébellion contre toutes les formes de conformismes qui endorment les existences. Une rébellion qui fait que ces sages du passé ont « encore des choses à nous dire ». Comme la promesse du livre est qu’il s’adresse à tous, dès l’âge de 9 ans, nous avons proposé à deux enfants férus de philosophie, Joa (9 ans) et Simon (14 ans), d’en faire la critique. Voici leur retour de lecture… verbatim !

« Socrate, c’est la base »

Joa : « Dans cet album, on apprend comment les philosophes ont conformé leur vie à leurs idées. Par exemple, Diogène, il vit dans un tonneau dans la rue comme les animaux parce qu’il pense qu’il ne faut pas s’attacher aux biens matériels et qu’il faut vivre le plus proche possible de la nature. Et puis, il y a aussi l’idée que chacun a une pensée propre. Certains croient en Dieu, d’autres à l’esprit de la nature. Ils donnent leurs raisons. Ils ne sont pas d’accord. Mais chacun à sa façon de vivre, de penser et de croire. Il n’y a pas une seule réponse. Et personne n’a vraiment tort ou raison. » 

Simon : « Socrate, en philosophie, c’est la base. Il affirmait que la seule chose qu’on sait, c’est qu’on ne sait rien. Toute la philosophie est fondée sur sa démarche, alors même qu’il n’a rien écrit. Mais j’ai découvert qu’il a tellement marqué l’histoire de la pensée qu’on a rebaptisé les philosophes avant lui les “pré-socratiques”. En buvant la cigüe en prison alors qu’on lui proposait de fuir, il a assuré. Il est le premier à avoir vraiment consacré sa vie à la pensée. Il a donné une leçon de courage. C’est pas pour rien que tous les suivants se revendiquent de lui. »

Une forme originale mais un dessin un peu schématique

Joa : « J’ai bien aimé que ce soit sous la forme d’un album BD. C’est plus facile à lire et à comprendre. Et puis il y a des enfants d’aujourd’hui qui interrogent les philosophes. Quand Socrate affirme “Tu sais, petit, personne ne fait le mal exprès”, il lui répond : “Bah, en attendant, ce matin, Jules m’a volé mon goûter. Et j’ai l’impression que ce n’était ni par hasard ni par erreur.” Cela nous permet d’entrer en contact avec le philosophe pour lui porter la contradiction. Par contre, il y a des mots qui sont parfois un peu compliqués pour les enfants de mon âge. Je ne suis pas sûr que tous ceux de 9 ans comprennent. »

Simon : « J’ai bien aimé que le mythe de la caverne de Platon soit transposé dans le monde d’aujourd’hui, avec des jeunes qui sont enfermés dans une salle où ils jouent aux jeux vidéo toute la journée. C’est très fort. Par contre, d’autres entrées, comme celle sur Marx, sont plus superficielles. Et je trouve que si les dessins facilitent la compréhension, ils sont très schématiques, ils ne donnent pas envie de revenir aux planches pour la beauté des traits ou des couleurs »

Des entrées surprenantes 

Joa : « Hypatie ! C’est la première et une des rares femmes philosophes, si j’ai bien compris. Elle pensait que ça n’existait pas, les trucs pour garçons et pour filles. T’as le droit d’avoir un pantalon ou de jouer un foot si t’es une fille. Même si on dit que c’est que pour les garçons. Elle a compris qu’il était très difficile d’évoluer dans un milieu où on te dit que tu n’as pas accès à des choses qui sont réservées à d’autres. » 

Simon : « J’ai bien aimé le débat autour de la question de Dieu. Saint-Augustin, qui est né Algérie autour de 300 et s’est converti au christianisme, affirme que “la foi précède, l’intelligence suit”. Tandis que Al-Kindi, penseur arabe qui vivait en Irak, propose un raisonnement : étant donné que le temps doit forcément avoir un début, dit-il dans les pas d’Aristote, alors c’est Dieu qui l’a créé, donc Dieu existe. Il ajoute : il y en a qu’un, Allah. Abélard lui soutient que “même pour lire les textes sacrés, il faut utiliser son esprit critique et parfois douter.” Il était donc prêt à remettre en question certaines choses. Et il y en a même qui refusent Dieu au nom de la raison… »

Sans oublier le développement personnel

Joa : « À la fin de chaque entrée, il y a une série de conseils pratiques que donne chaque philosophe aux enfants. J’ai été marqué par celui des stoïciens : “Ne désire que ce qui dépend de toi… et supporte sans rechigner… ce qui ne dépend pas de toi.” Mais si on a un chagrin pour un événement qui ne dépend pas de nous, je ne suis pas sûr que cela soit possible de décider de ne pas être triste. C’est un peu inhumain. »

Simon : « Je pense que c’est aussi un livre de développement personnel à base de philosophie. Les épicuriens nous expliquent par exemple qu’il faut réguler les plaisirs, éviter l’excès qui crée la souffrance parce qu’on s’y habitue, et quand on les perd, on souffre. Il y a des petits conseils comme cela pour mieux gérer notre vie. C’est bien vu. »

Les Vrais Sages sont des Rebelles. De l’Antiquité à aujourd’hui, ce que les philosophes ont encore à nous apprendre, de Chiara Pastorini et Perceval Barrier, est paru aux Éditions Nathan. 172 p., 18,90€, disponible ici.