Les trois piliers de l’empathie

Alexandre Lacroix publié le 5 min

Nous nous trouvons trop refermés sur nous-mêmes, et nous pensons qu’il faudrait que ça change pour que tout aille mieux dans nos sociétés. Et si c’était le contraire ?

Lorsqu’on aborde la question du rapport aux autres, deux idées reçues surgissent assez vite. Premièrement, ce rapport est considéré comme fragile et mal assuré. Nous serions spontanément des égoïstes. L’Écossais David Hume le résume d’une formule frappante dans son Traité de la nature humaine (1740) : « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt. » Nous nous vivons, de plus, comme des citadelles inviolables. Nous pouvons être contraints par les autres à certaines actions que nous n’avons pas envie de faire ni de subir, mais nul ne peut nous dérober nos pensées. Les murailles de notre for intérieur seraient élevées et résistantes. Nous ne partageons nos réflexions, nos souvenirs, nos désirs qu’avec ceux à qui nous acceptons d’en parler. Dans un passage halluciné de ses Méditations métaphysiques (1641), René Descartes se décrit regardant passer les gens dans la rue, accoudé à sa fenêtre : qu’est-ce qui me prouve, se demande-t-il, que ce sont de vrais humains comme moi, avec une conscience, et non des automates dissimulés sous des chapeaux et des manteaux ? Je sais que je suis un moi, que je pense. Mais chez autrui, je ne fais que supposer un équivalent de mon intériorité sans y avoir accès. Si j’ignore de quoi autrui est fait au-dedans, comment me mettrais-je à sa place ?

Deuxièmement, un préjugé veut que, si nous acceptions de percer des fenêtres dans la muraille de notre intériorité, la vie sociale serait largement apaisée. Autrement dit, si nous faisions plus souvent l’effort de nous mettre à la place d’autrui, de saisir ses motivations et ses souffrances, nous aurions une conduite plus respectueuse, plus bienveillante, et nous serions dirigés naturellement vers le bien.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
Sur le même sujet

Article
7 min
Martin Duru

Les Lumières, moment de triomphe de la raison ? C’est oublier qu’au XVIIIe siècle, en Écosse, des penseurs comme David Hume ou Adam Smith reconsidèrent les sentiments pour fonder la morale. Au cœur de leurs réflexions, la notion de…





Article
3 min
Mathieu Horeau

David Hume, l’un des représentants de l’empirisme, pourrait être l’inventeur de l’adage : « Il n’y a pas de risque zéro. » Dans Traité de la nature humaine, le philosophe écossais décortique les mécanismes de nos croyances et montre que…


Article
2 min
Cédric Enjalbert

“L'esprit est une sorte de théâtre”, écrivait David Hume. Une sentence que le réalisateur Arnaud Desplechin a peut-être fait sienne en adaptant…

“Tromperie” : jeu de l’ego

Entretien
4 min
Sven Ortoli

Éclairage III. Les stoïciens discernaient dans le cosmos une « sympathie universelle » qui soulignait l’interdépendance entre toutes les parties du monde. Leur vision du cosmos comme un tout qui prime les parties s’accorde…