Les sentiers de la modernité
Jean-Jacques Rousseau s’est lancé un défi : inventer un état social moderne qui ne soit pas pire que l’état de nature. Cet élan fonde une œuvre marquée par le souci constant de l’humain, la conscience des inégalités et la défense de la liberté.
État de nature
« En dépouillant [l’homme] de toutes les facultés artificielles qu’il n’a pu acquérir que par de longs progrès, je vois un animal se rassasiant sous un chêne, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits. » Pourquoi Rousseau construit-il, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1), cette fiction d’un homme « sortant des mains de la nature » ? Il s’en explique clairement : « Ayant d’anciennes erreurs à détruire, j’ai cru devoir creuser jusqu’à la racine. »
Il veut réfuter les sophismes de Hobbes, qui nomme « état de nature » la situation d’hommes dont les relations ne seraient pas régies par un pouvoir souverain. Hobbes et les auteurs qui s’en inspirent imaginent un état de rivalité, de frustration et de peur, voire de guerre généralisée. La nécessité du pouvoir politique semble alors universelle, car fondée sur les comportements naturels de l’homme. Rousseau réfute cette illusion en examinant ce qu’est un « véritable état de nature », c’est-à-dire les besoins réellement nécessaires et universels de l’homme. Par contraste, il souligne ce qui est contingent, historique, modifiable. Il établit alors que la misère et la guerre n’ont pas leur origine dans la nature, mais dans la culture, et plus précisément dans certaines formes historiques d’organisation des sociétés. Il permet ainsi de comprendre l’existence de sociétés sans État, qui ignorent la propriété de la terre et où les conflits se réduisent à des luttes pour l’honneur, lesquelles n’ont rien d’une lutte pour la survie ou d’une « guerre ».
L’attention portée par Rousseau à la différence entre nature et culture et aux différentes formes d’organisation sociale explique que Lévi-Strauss ait reconnu en lui l’un des grands précurseurs de l’ethnologie (sur ce thème lire l’interview de Philippe Descola).
Amour de soi, amour-propre
Parmi les modifications qui distinguent l’homme social de l’homme dans le « pur état de nature », certaines relèvent des facultés intellectuelles (langage, raisonnement), d’autres sont liées à la sensibilité et au désir.
C’est le sens de la distinction entre « amour de soi » et « amour-propre ». L’« amour de soi », commun aux animaux et aux hommes, est l’instinct de conservation, c’est-à-dire l’ensemble des besoins s’expliquant par une nécessité vitale. « L’amour-propre » n’est connu que de l’homme social, qui devient un « moi relatif » (Émile). Il se nourrit du souci d’être « considéré », d’être estimé ou d’être aimé. Il repose sur des comparaisons et jette l’homme dans une inquiétude infinie sur la valeur que les autres hommes lui accordent. L’amour-propre est donc ambivalent : source du sentiment de l’honneur, il intensifie les conflits entre les hommes, mais il produit également « les premières règles de la civilité » (Discours sur l’inégalité). Il élève comme il abaisse, il est « orgueil dans les grandes âmes, et vanité dans les petites » (Émile). La modification de l’amour de soi en amour-propre est irréversible. Elle est intimement liée au passage de la nature à la culture et à ce que Rousseau nomme la « perfectibilité ». À son sens, ce terme ne désigne pas une faculté de s’améliorer, mais permet de modifier sa propre nature en perfectionnant ses facultés : il peut, là aussi, en résulter le pire comme le meilleur, car le développement des passions d’amour-propre et le développement de l’intelligence sont, chez Rousseau, indissociablement mêlés.
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