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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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(cc) Emilio Küffer / Wikimedia Commons

Les philosophes aux prises avec l’esprit du terrorisme

publié le 02 décembre 2015 5 min

Par ses origines révolutionnaires et régicides, le terrorisme a longtemps fasciné les philosophes, qui n’ont cessé de lui trouver des excuses. Jusqu’au 11-Septembre, qui a sidéré Baudrillard mais amené Michael Walzer à déconstruire toutes les justifications de ses prédécesseurs.

L’anarchisme ou le terrorisme passionnel

Serge Netchaïev (1847-1882)

Mikhaïl Bakounine (1814-1876)

C’est en 1794, pendant la révolution française, que naît le terme de « terroriste ». Au départ, être terroriste, c’est défendre un régime d’exception contre les « ennemis » de la République. Mais au XIXe siècle, l’emploi du mot évolue avec l’apparition de l’anarchisme. Dans leur Catéchisme révolutionnaire (1868), Serge Netchaïev et Mikhaïl Bakounine écrivent : « Le révolutionnaire est un homme condamné d’avance : il n’a ni intérêts personnels, ni affaires, ni sentiments, ni attachements, ni propriété, ni même de nom. Tout en lui est absorbé par un seul intérêt, une seule pensée, une seule passion – la Révolution. » Pourtant, Bakounine et Netchaïev sont divisés sur un point crucial. Si, pour le premier, le crime politique doit cibler uniquement des têtes couronnées et des dirigeants, afin de déstabiliser le pouvoir, le second prône l’emploi d’une violence indiscriminée, censée agir sur la société tout entière. Avec les anarchistes russes, un nouveau terrorisme, passionnel, est donc né, et la question de l’usage de la violence par le premier révolutionnaire venu est ouverte.

 

De l’existentialisme à la « Terreur-Fraternité » ?

Jean-Paul Sartre (1905-1980)

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réflexion sur la légitimité du recours aux armes contre le pouvoir établi est rouverte : les résistants ont été conspués par la presse collaborationniste comme des « terroristes », tandis que les mouvements indépendantistes dans les colonies utilisent la violence contre l’impérialisme. C’est dans ce contexte que Sartre écrit sa pièce Les Mains sales (1948). Il y met en scène la préparation d’un attentat : chargé par ses camarades de tuer un chef du Parti communiste soupçonné de traîtrise, Hugo, héros existentialiste, se lie d’amitié avec cet homme qu’il finit par tuer, lorsqu’il découvre qu’il est aussi l’amant de sa femme. Alors qu’il pourrait être innocenté en invoquant le crime passionnel, Hugo préfère revendiquer l’attentat et conquiert ainsi sa liberté, assumant d’avoir agi contre la morale, au nom de ses idées. Sa décision transforme son geste en « acte authentique ». Mais c’est dans sa volumineuse Critique de la raison dialectique (1960) que Sartre avance son concept clé de « Terreur-Fraternité » : partant d’une analyse de la Révolution française, il montre que quiconque bascule dans la Terreur a besoin de sentir un sentiment de Fraternité envers ses camarades, sans quoi il craindra à chaque instant que la violence qu’il a enclenchée se déchaîne contre lui.

 

La supériorité de la morale sur la politique

Albert Camus (1913-1960)

C’est Albert Camus qui répliquera en philosophe aux divagations sartriennes sur l’« acte authentique » et la fraternité dans le crime politique. Pour sa pièce Les Justes (1949), réponse aux Mains sales, Camus s’inspire des anarchistes russes. Il entend détruire la thèse selon laquelle « rien n’est défendu que ce qui peut servir notre cause ». Les scrupules de ses personnages Kaliayev et Dora montrent que certains interdits moraux ne peuvent pas être transgressés, comme le meurtre d’enfants (au dernier moment, Kaliayev se refuse à jeter sa bombe car, dans la calèche du grand-duc qu’il vise, se trouvent son neveu et sa nièce innocents). Par ailleurs, Camus explique que la violence ne peut se justifier par la promesse d’un futur meilleur, trop hypothétique. C’est ainsi qu’il écrit dans L’Homme révolté (1951) : « Une valeur à venir est d’ailleurs une contradiction dans les termes, puisqu’elle ne peut éclairer une action ni fournir un principe de choix aussi longtemps qu’elle ne prend pas forme. » Ce qui consommera sa rupture avec Sartre.

 

« Futur gouvernant » ou « perpétuel dissident » ?

Michel Foucault (1926-1984)

Le 17 novembre 1977, la police française remet aux autorités de la République fédérale d’Allemagne Klaus Croissant, avocat de Ulrike Meinhof et Andreas Baader, leaders de la Fraction armée rouge. Accusé d’avoir « organisé la réserve opérationnelle du terrorisme ouest-allemand », Klaus Croissant avait demandé l’asile politique à la France, en vain. Plusieurs intellectuels sont intervenus dans la presse pour prendre sa défense. Parmi eux, Michel Foucault. Ce dernier, dans un texte intitulé « Va-t-on extrader Klaus Croissant ? » paru dans Le Nouvel Observateur, explique que le droit d’asile a été conçu, au début des temps modernes, pour permettre l’alternance politique ; ceux qui, sous un régime autoritaire, préparent une alternance, peuvent trouver refuge dans les pays voisins. La question est alors de distinguer le « futur gouvernant », avec qui il convient de s’entendre, et le « perpétuel dissident », qui n’est qu’un fauteur de troubles. Hélas ! écrit Foucault, la guerre froide a brisé la fonction première de l’asile politique : désormais, tous les contestataires sont persécutés, car soupçonnés de complicité avec le totalitarisme soviétique. On ne sait plus reconnaître ceux qui portent un projet politique alternatif. Ainsi, Klaus Croissant serait victime d’un acharnement judiciaire, car « on a voulu retirer, en Allemagne, au groupe Baader » le droit fondamental d’être défendu « en persécutant ses avocats : il y a actuellement soixante-dix avocats allemands qui le sont ».

 

La violence du monde global

Jean Baudrillard (1929-2007)

Le 3 novembre 2001, Jean Baudrillard publie dans Le Monde une tribune sur les attentats contre les Twin Towers promise à faire scandale, « L’Esprit du terrorisme » : « Que nous ayons rêvé de cet événement, que tout le monde sans exception en ait rêvé, parce que nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n’importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique, cela est inacceptable pour la conscience morale occidentale, mais c’est pourtant un fait. » Un an plus tard, dans Power Inferno, il étaye sa thèse : le terrorisme est la forme qu’emprunte la violence archaïque à l’âge global. Dans le monde de l’après-communisme, une fois la globalisation capitaliste achevée, la violence n’oppose plus des blocs. L’âge global est celui d’une positivité indiscutable, sans alternative. « Le système lui-même, par l’extension spéculative de tous les échanges, la forme aléatoire et virtuelle qu’il impose partout, les flux tendus, les capitaux flottants, la mobilité et l’accélération forcée, fait régner désormais un principe général d’incertitude que le terrorisme ne fait que traduire en insécurité totale. » Ainsi, « le terrorisme est l’acte qui restitue une singularité irréductible au cœur d’un système d’échange généralisé ». Si Baudrillard est saisissant lorsqu’il médite sur les métamorphoses contemporaines de la violence, il dissimule néanmoins mal une certaine fascination.

 

Aucune justification ne tient !

Michael Walzer (1935-)

En 2004, le philosophe américain Michael Walzer réunit plusieurs articles dans De la guerre et du terrorisme, notamment « Critique de l’excuse : le terrorisme et ses justificateurs ». Il y démonte les quatre justifications idéologiques les plus fréquentes du terrorisme (lequel est moralement indéfendable, puisqu’il fait des victimes innocentes). Excuse n° 1 : certains terroristes prétendent n’employer la violence qu’en dernier recours, après avoir constaté l’échec de l’action politique classique. Réplique de Walzer : non, il est impossible d’affirmer que tous les recours politiques ont été épuisés, car la politique est précisément un art de la répétition, de l’endurance. Excuse n° 2 : les mouvements de libération nationale emploient la violence pour lutter contre des États établis et puissants. Réplique : ces mouvements devraient avoir les moyens de mobiliser le peuple qu’ils prétendent défendre. Excuse n° 3 : le terrorisme réalise les objectifs des opprimés sans même réclamer leur participation. Réplique : historiquement, aucune nation ne doit son indépendance à une campagne de meurtres aléatoires. Excuse n° 4 : toute politique est, dans le fond, terroriste, puisqu’elle utilise la force à un moment ou à un autre. Réplique : faux, l’attentat relève d’un choix arbitraire de quelques individus et non d’une nécessité collective.

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Article issu du magazine n°95 décembre 2015 Lire en ligne
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