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Paléontologie

Les dinosaures et l’énigme de “l’ancestralité”

Octave Larmagnac-Matheron publié le 22 juin 2022 4 min

« White Rock spinosaurid » : c’est le nom – provisoire – donné par une équipe menée par le paléontologue Christ T. Barker à ce qui serait le plus grand dinosaure carnassier jamais découvert en Europe. D’après les restes fossiles de l’animal exhumés sur l’île de Wight, au sud de l’Angleterre, le mastodonte vivait il y a 125 millions d’années et, avec ses dix mètres de haut, rivalisait en taille avec les plus imposants tyrannosaures. Une fenêtre ouverte sur un passé lointain qui ne manque jamais de susciter une certaine fascination. Pourquoi cet attrait des « mondes perdus », pour emprunter une formule tirée de la saga Jurassic Park ? Parce qu’ils nous font toucher à l’absolu, souligne Quentin Meillassoux.

 

  • Pourquoi donc les dinosaures nous passionnent-ils ? Parce qu’ils avaient des formes étonnantes, certes, et qu’ils étaient souvent plus gros que nos animaux actuels. Mais cela n’explique pas tout. Dans Après la finitude (Seuil, 2012), le philosophe Quentin Meillassoux montre que les dinosaures nous mettent aussi en contact avec un régime étrange de la science. En effet, les dinosaures se sont éteints il y a 66 millions d’années, tandis que Homo sapiens fait ses premiers pas aux alentours de -400 000 ans. Un écart très important, qui implique une approche différente dans la connaissance que nous en avons : « De quoi parlent les paléontologues lorsqu’ils discutent […] de la date du surgissement d’une espèce antérieure à l’homme, de la date du surgissement de l’homme lui-même ? Comment saisir le sens d’un énoncé scientifique portant explicitement sur une donnée du monde posée comme antérieure à l’émergence de la pensée, et même de la vie – c’est-à-dire posée comme antérieure à toute forme humaine de rapport au monde ? »
  • Penser le monde ancestral des dinosaures, c’est penser un temps qui a précédé l’avènement de la conscience. « N’est-ce pas précisément cela que pense la science ? Un temps non seulement antérieur à la donation, mais essentiellement indifférent à celle-ci. […] Un espace-temps antérieur aux formes spatio-temporelles de la représentation. Penser cet espace-temps ancestral c’est ainsi, d’un même geste, penser les conditions de la science. » Depuis des millénaires, la science suppose une relation entre un sujet et un objet : Aristote étudiait des animaux morts, Descartes des lentilles optiques, Semmelweis des patients entassés dans des hôpitaux. Avec les dinosaures, la connaissance doit être capable de s’élever à la hauteur d’une connaissance indépendante de la relation sujet-objet.
  • Pas de connaissance d’un objet sans sujet connaissant, sans corrélation des deux, sans expérience. Quentin Meillassoux nomme « corrélationnisme » ce genre de connaissance, qui est dominante selon lui depuis Kant. Relation qui est impossible avec les dinosaures. Le philosophe utilise le terme d’« ancestralité » pour qualifier ce régime de connaissance qui rend impossible la mise en contact d’un sujet et d’un objet dont personne n’est un témoin direct. Cette absence de témoin n’est pas accidentelle, liée à quelques circonstances ; elle est structurelle et indépassable : « L’archifossile ne renvoie pas simplement à un événement qui fut sans témoin, mais à un événement qui fut sans donation » auprès d’un sujet, même potentiel. « Le réel ancestral ne se rapporte pas à des événements qu’un donné lacunaire ne parvient pas à appréhender, mais à des événements qui ne sont contemporains d’aucune donation, lacunaire ou non. […] L’ancestral ne désigne pas une lacune dans le donné et pour une donation, mais une lacune de la donation elle-même. »
  • Le mode de connaissance de « l’ancestralité » est fondamentalement mathématique, pour Meillassoux. C’est de fait par les mathématiques que les sciences paléontologiques ont pu dater, de manière « absolue », les fossiles ancestraux. « Qu’est-ce qui permet à un discours mathématique de décrire un monde déserté par l’humain, un monde pétri de choses et d’événements non-corrélés à une manifestation, un monde non-corrélé à un rapport au monde ? », interroge le philosophe. Et d’esquisser, allusivement : « C’est là l’énigme qu’il nous faut affronter : la capacité des mathématiques à discourir du Grand Dehors, à discourir d’un passé déserté par l’homme comme par la vie. » On touche aux limites de l’empirisme, et c’est paradoxalement par une science spéculative, mais fiable, que l’on peut retrouver le chemin du réel. Sans doute « un homme de science ne dira pas de façon catégorique – ce serait manque de prudence – qu’un événement ancestral s’est à coup sûr produit tel qu’il le décrit ». Mais « si sa théorie est réfutée, ce ne pourra être qu’au profit d’une autre théorie à son tour de portée ancestrale, et à son tour supposée vraie ».
  • La pensée de l’ancestralité nous invite en somme à emprunter une porte dérobée : à « sortir de soi-même, s’emparer de l’en-soi, connaître ce qui est, que nous soyons ou pas ». C’est ce qu’elle a de si fascinant et si vertigineux, au point d’inspirer de manière presque inépuisable les œuvres comme Jurassic Park ou les livres pour enfants. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles, sans doute, les découvertes concernant les dinosaures nous intriguent tant.
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