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Frédéric Worms, en 2022. © Jean-Luc Bertini pour PM

Tribune

“Les démocraties libérales risquent sombrer dans une guerre civile mondiale”, par Frédéric Worms

Frédéric Worms publié le 30 novembre 2022 4 min

Refus du dialogue et de la différence, logique du tout ou rien, règne de l’outrance et de la haine. Dans une tribune inquiète, le philosophe et directeur de l’École normale supérieure Frédéric Worms tire la sonnette d’alarme. L’espace numérique serait-il en train de céder à une logique guerrière ?

 

« Dans les démocraties libérales, les institutions communes, des assemblées parlementaires aux médias traditionnels, ne sont plus perçues comme le cadre légitime du débat politique. Dans la filiation de penseurs comme Claude Lefort ou Paul Ricœur, je considère qu’une bonne démocratie est une société qui se reconnaît divisée et accepte la délibération comme moyen d’arbitrer ses propres contradictions. Seulement, des États-Unis à Israël en passant par le Brésil et de nombreux pays d’Europe, les réseaux sociaux – et une partie de la classe médiatique – sont devenus la scène d’un affrontement qui n’a plus rien d’un débat mais d’une guerre civile.

Le jeu du débat démocratique implique de s’accorder sur des faits et de chercher des seuils communs : quelles conditions doit-on fixer pour accueillir les immigrés ? Jusqu’où aller dans la reconnaissance des violences sexistes ou sexuelles ? À l’inverse, en mobilisant les images, les rumeurs et la haine, de plus en plus de citoyens usent de l’espace numérique pour remplacer le débat par la guerre, caractérisée par une logique du tout ou rien : l’immigration déclencherait un processus de mort de notre civilisation, reconnaître les violences sexistes serait déjà le symptôme d’une idéologie “woke”, c’est-à-dire du culte du droit à la différence anéantissant notre vieil ordre social, etc. La montée des mouvements antidémocratiques n’est pas qu’une tendance partisane. En fondant les sociétés sur des identités nationales homogènes en péril, ces idéologies font de toute altérité une menace potentielle. Et la différence, qui était hier la tension régulatrice de la vie politique et de ses principes, ne fait plus qu’alimenter une panique morale pour une part croissante des citoyens du monde.

La peur et la haine n’ont rien de nouveau en politique. Quand Carl Schmitt avait théorisé une politique extrême fondée sur la guerre (le concept d’ennemi au principe de la politique), il avait bien identifié que cette doctrine construisait des ennemis “existentiels”. Qu’on accuse les élites mondialisées ou les minorités visibles, ce qui est en jeu est toujours la destruction de nos façons de vivre, de nos valeurs, de notre civilisation. Il est évident que ce n’est pas le numérique qui a créé ces extrêmes. Seulement, si le suffrage, le parlement, le syndicalisme, la reconnaissance des femmes, tout ce qui a fait que nous avions réussi, au cours de notre histoire, à formaliser l’expression des tensions sur l’espace politique, si tout cela est en train en partie de s’effondrer, c’est aussi parce que le numérique est devenu le médium cathartique par lequel de plus en plus de citoyens expriment sans filtre leur haine de la différence, souvent par le choc et l’outrance sur les réseaux sociaux. Dans ce monde parallèle et dans le contexte de la montée des droites dures, on n’exprime plus son opinion comme une liberté politique cadrée par les institutions : on déverse sa haine ou son sarcasme. D’ailleurs, quand on voit la brutalité avec laquelle s’expriment un Trump ou un Bolsonaro, quand on voit la violence des propos tenus dans certaines émissions grand public, de CNews à Fox News, on se rend compte que c’est bien le monde parallèle du numérique qui finit par déterminer le monde réel.

Enfin, si la grammaire de la peur, typique de ces extrêmes, marche autant, c’est aussi que les raisons objectives d’avoir peur sont nombreuses. Les crises économiques, le délitement des structures de justice sociale, la pandémie, le changement climatique… Tout cela renforce un ressort très archaïque en nous : sauver un “nous” au détriment d’un “eux”. Dans son Apocalypse cognitive (PUF, 2021), Gérald Bronner considère que nous vivons le temps de l’interférence des technologies les plus modernes avec notre cerveau le plus archaïque. Je préciserais qu’il s’agit d’une rencontre à travers le numérique des forces réactives présentes dans tous les esprits humains et des idéologies antidémocratiques. Hegel avait raison : ce sont bien les idées qui continuent de mener le monde. Il ne faut pas oublier que la réaction archaïque de rejet de la différence se greffe sur des idées politiques précises concernant aussi bien la place de l’étranger ou de la femme, l’homosexualité, la procréation assistée comme la fin de vie… Le numérique catalyse un court-circuit entre des réactions primaires, violentes, et un discours politique qui a sa cohérence et ses modes de représentation. La guerre sur les réseaux sociaux n’est plus la continuation du débat politique par d’autres moyens : c’en est même le contraire ! »

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