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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Nathalie Delahaye © Marie Genel/Pink photographies

Reportage

Les damnés de l’agriculture intensive

Julia Küntzle publié le 20 août 2019 15 min

Souvent acculés à la ruine, les agriculteurs appliquant le modèle productiviste, à grand renfort de glyphosate et d’intrants, sont aussi en train de perdre la bataille philosophique, leur vision du monde étant fortement remise en cause par les tenants de l’écologie. Deux raisons pour aller à leur rencontre et essayer de comprendre, avec les agronomes Pablo Servigne et Marc Dufumier, où le bât blesse. 

 

Au pied des champs de blé de Dominique Boucher sont alignées d’impressionnantes machines agricoles : « Je voulais poser un panneau sur mon tracteur disant : “Ceci appartient au Crédit mutuel”, raconte l’agriculteur du Loiret, pour montrer que je les ai achetées à crédit en m’endettant. » Le céréalier de 62 ans cultive notamment du blé pour Banette et vit au milieu de ses terres dans un petit préfabriqué, qui n’est pas chauffé l’hiver et devient une fournaise l’été. Et les choses ne semblent pas parties pour s’arranger : « J’ai eu un contrôle phytosanitaire m’accusant de ne pas avoir respecté la nouvelle législation pour l’utilisation de produits sur ma parcelle », lâche-t-il un courrier officiel à la main. « Je ne comprends rien. Je risque 150 000 euros d’amende. Pourquoi on ne m’a pas informé ? J’ai nourri le monde comme on m’a dit de le faire, et je n’ai rien gagné. Heureusement que je ne suis pas suicidaire, sinon… » Après quarante-cinq ans de travail, l’agriculteur est perdu dans la jungle « des réglementations et des normes qui changent chaque année ».

Ingénieur agronome de formation et auteur notamment de Nourrir l’Europe en temps de crise (Nature et Progrès, 2014 ; rééd. Actes Sud, 2017), Pablo Servigne voit en Dominique Boucher le « symptôme d’un système agricole industriel qui massacre tout. Pas seulement les oiseaux, mais aussi les agriculteurs. Je vois aussi quelqu’un d’isolé, qui ne remet pas en cause ce système, car, pour cela, il faut être en lien avec d’autres. On ne le fait que très rarement seul ». Ce système dénoncé par Paolo Servigne est né après-guerre lorsqu’on a dit à Dominique Boucher, aux agriculteurs et éleveurs français de s’industrialiser, de produire plus, d’accroître les rendements, avec toujours plus de terres et d’animaux, à grand renfort de machines, d’investissements et d’intrants. Parmi eux, des semences, des engrais et des pesticides que leur ont imposés agronomes, syndicats, groupes agro-alimentaires, coopératives, banques et pouvoirs publics. Cette direction a notamment été balisée par les lois d’orientation agricole de 1960 puis de 1962, sous la houlette d’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture du général de Gaulle. Pour l’agronome Marc Dufumier, qui a dirigé la chaire d’agriculture comparée à AgroParisTech et est l’auteur de 50 Idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation (Allary Éditions, 2014), c’est un désastre : « Pour accroître les rendements, on a demandé aux agronomes de sélectionner des variétés à haut potentiel génétique et de standardiser. Pour ne pas que leurs mesures soient faussées par les sangliers, les chenilles, les plantes adventices, etc., on a clôturé les champs et utilisé des insecticides, des herbicides… En fait, on a demandé aux paysans d’arrêter de sélectionner une multitude de variétés adaptées à une grande diversité d’environnements pour adapter tous leurs environnements à un très faible nombre de variétés. De plus, certains scientifiques sont devenus des scientocrates, en portant des jugements de valeur. Ce qui est passé par le langage : “les mauvaises herbes”, “les bonnes pratiques”, les “variétés améliorées”… Or qui définit ce qui est “amélioré” ? Les forces du marché. »

Selon Pablo Servigne, cette course au rendement a abouti à une mise en compétition féroce des agriculteurs. Et pas seulement entre eux : « Avec cette logique, conforme à l’objectif de l’industrie qui est de tout simplifier, de tout linéariser, on a supprimé la coopération avec les autres principes du vivant, qui donnait au paysan le rôle de chef d’orchestre d’une agriculture de symbiose. On l’a rendu propriétaire unique de son champ, en le mettant en compétition avec le coléoptère, considéré désormais comme un ennemi. Et on a donc fabriqué des “produits en -cide”, que Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherche en sciences économiques à l’Institut national de la recherche agronomique [Inra], appelle les “nécrotechnologies”, les technologies de la mort. » Cette idéologie de compétition a aussi engendré une grande solitude dans le milieu agricole. La mécanisation et l’agrandissement des exploitations ont entraîné une diminution du nombre de paysans, et les agriculteurs se sont retrouvés totalement isolés.

On a donc appliqué à la nature les mêmes principes que ceux mis en œuvre dans l’industrie. Et, pour Marc Dufumier, l’agriculture française a poussé très loin la tendance à l’abstraction : « On a par exemple mis en monoculture du maïs dans le Sud-Ouest. Cette plante tropicale pousse au moment le plus chaud de l’année. Là-bas, c’est aussi le plus humide. En France, c’est le mois d’août, qui est le plus sec. » Il a donc fallu irriguer massivement, utiliser beaucoup d’intrants, ce qui coûte très cher. Résultat – outre les conséquences écologiques –, « l’agriculture intensive française n’a aucune chance d’être compétitive sur le marché mondial ». 

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