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Photogramme issu du “Jeu de la Dame”. © Charlie Gray/Netflix

Philo en série(s)

“Le Jeu de la Dame” : les échecs, un jeu existentialiste

Octave Larmagnac-Matheron publié le 11 novembre 2020 4 min

« Je ne connais rien aux échecs, je ne suis pas sûr de comprendre ce qui se passe, mais j’adore », me glissait avant-hier un ami à propos de la nouvelle minisérie Netflix, Le Jeu de la Dame. L’intrigue, portée par l’actrice Anya Taylor-Joy, n’y est pas, bien sûr, pour rien : nous suivons, au fil des sept épisodes, le combat de Beth Harmon, jeune orpheline prodige, pour se faire une place dans le monde (très masculin) des échecs. Partie après partie, elle rejoue certaines des parties les plus célèbres : elle bat Harry Beltik, un champion local, en reproduisant une séquence qui eut lieu à Riga en 1955 entre Rashid Gibiatovich Nezhmetdinov et Genrikh Kasparian ; elle vient à bout de Vasily Borgov en reprenant un mouvement joué au festival de Biel de 1993, lors de l’affrontement entre Vassily Ivantchouk et Patrick Wolff. Autant de références qui laisseront, sans doute, de marbre les néophytes. L’intensité de l’histoire suffit-elle à expliquer l’intérêt pour cette série ? N’y a-t-il pas, aussi, quelque chose comme une fascination inhérente pour les échecs ? Assurément, répondait Amédée Ponceau (1884-1948), philosophe aujourd’hui tombé dans l’oubli qui fut proche du spiritualisme bergsonien et de l’existentialisme naissant de Sartre : si nous nous passionnons pour les échecs, même sans rien y comprendre, c’est que ceux-ci sont comme le symbole de l’existence humaine, tiraillée entre spontanéité et mécanisme. 

 

  • Le point de départ de la réflexion que Ponceau consacre aux échecs dans le premier volume de son Initiation philosophique (1944) est une nouvelle d’Edgar Poe, Le Joueur d’échecs de Maelzel (1836, consultable ici dans son intégralité sur le site Wikisource), dans laquelle l’auteur américain évoque le très célèbre « Turc mécanique », un automate joueur d’échecs inventé par Johann Wolfgang von Kempelen et présenté pour la première fois en 1770. Il s’agissait en fait d’un canular : l’automate était contrôlé par un joueur bien humain caché dans le coffre sur lequel reposait le plateau. Il ne pouvait, d’ailleurs, s’agir que d’un canular selon Poe : « Un joueur d'échecs ne peut pas être un automate ».
  • Et Ponceau de commenter : « Chaque situation de l’échiquier est comme une touche d’un clavier qui déclenche un système de mouvements aboutissant à la parade ou à l’attaque correspondante. […] Le joueur non automatique est le perpétuel inventeur d’un ordre stratégique dans lequel prend place chaque coup joué, sans que ce coup à lui seul constitue jamais la stratégie totale. Ce sont d'autres coups antérieurs ou bien seulement pensés tout d’abord pour être ultérieurement exécutés, qui lui donnent ou promettent de lui donner l’efficacité. À cette stratégie, l’automate ne peut jamais opposer que des déclenchements spasmodiques, à effets limités. […] Pour s’opposer à une stratégie, c’est d’une autre stratégie qu’il faut soi-même disposer. Encore, par stratégie, devons-nous entendre moins un dispositif fixé d’avance et immuable qu’une action susceptible de s’infléchir à chaque coup dans un sens différent de son action initiale. »
  • Les développements considérables de l’intelligence artificielle, qui est désormais capable de prévoir l’ensemble des situations potentielles et de déterminer parmi un répertoire de tactiques qu’elles a « apprises », la meilleure à adopter à l’instant t, en fonction de l’état de la partie, semblent donner tort à Ponceau. Le champion Garry Kasparov n’a-t-il pas perdu contre le super-calculateur Deep Blue en 1997 ? Sans doute. L’approche de Ponceau demeure pourtant pertinente car, même si elle gagne, la machine ne joue pas. Elle ne « réfléchit » en effet qu’en termes de « meilleur coup à jouer à l’instant t ». Mais tous ces coups existent déjà en elle, dès le départ, sous la forme d’une possibilité. Elle n’est donc, jamais, « surprise » et se contente de « prendre acte » de l’évolution sur l’échiquier, là où cette évolution est, pour le joueur humain, accompagnée d’un « aspect émouvant », « agréable ou pénible ».
  • Le propre d’un joueur humain, c’est précisément de pouvoir être surpris. Le joueur humain est en effet incapable d’envisager tous les cas de figures. Et sa décision, à l’instant t donc, n’est donc pas nécessairement celle que la machine considérerait comme la meilleure. Avoir une stratégie est, pour Ponceau, la manière par excellence d’agir en tenant compte de cette incertitude, en intégrant l’espace de jeu ouvert par notre propre finitude. Avoir une stratégie c’est, en ce sens, pouvoir en changer – troquer son répertoire limité de situations envisagées pour un autre. Le joueur humain « s’inspire du spectacle offert à chaque instant par l’échiquier, qu’il passe du spectacle à une façon nouvelle de “penser la partie”, […] De cette structure, il engendre une représentation future, en route vers la solution. Rien de tel, évidemment, chez l’automate. […] Il n’y a pas de monde pour lui », qui ne se réinvente jamais. La tactique est toujours déjà envisagée comme possibilité, et son « choix » est toujours nécessaire. Au contraire, le joueur humain est « un inventeur de tactiques perpétuellement renouvelées. »
  • Pour Ponceau, cet équilibre instable, cette réinvention permanente est comme le symbole de l’existence humaine, prise entre « l’automatisme et la spontanéité ». Et d’ajouter que « le corps est comparable à un joueur d’échecs authentique, à celui qui invente, à celui qui s’invente lui-même. » Pour être un bon joueur d’échecs, il faut s’instruire des exemples de stratégies auxquelles d’autres joueurs, avant nous, ont donné réalité – et que notre adversaire est donc capable d’envisager. Mais, de cette logique mécaniste, il faut savoir se détacher et tirer le coup inattendu. Le jeu d’échec donne ainsi, de la vie, l’image particulièrement juste d’un « acte fondamental perpétuellement repris. »
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