“Le Jardin des délices” : temps suspondu
Autour d'un œuf, le metteur en scène Philippe Quesne déploie sur scène un hommage luxuriant et exubérant à l’œuvre de Jérôme Bosch, revisitée avec humour et flamboyance. Une épopée rétrofuturiste qui se joue du passé comme de l’avenir pour mieux réenchanter le présent.
C’est Jérôme Bosch en Arizona. Ou des hippies postapocalyptiques. Un bestiaire canonique ou de la science-fiction. On ne saurait vraiment décider quand arrive sur scène un bus blanc poussé par une poignée d’hurluberlus, des cow-boys new age en santiags et Stetson. Rien sur ce plateau désertique, aucun décor hors des accessoires et deux écrans posés là comme pour des surtitres superfétatoires – ils déroulent des aphorismes sans aider à percer le mystère de cette pièce : « Trop loin à l’Est, c’est l’Ouest », attribué à Laozi, ou « Si la nuit est noire, c’est pour que rien ne puisse nous distraire de nos cauchemars », de Bill Watterson, auteur de la bande dessinée Calvin et Hobbes. Puis les membres de cette curieuse troupe s’ébranlent. Ils s’arment d’une pelle et d’une pioche, d’un flûtiau et d’un tambourin pour « planter » un énorme œuf, autour duquel s’improvise une ronde ésotérique. De cet embryon naîtra un tableau loufoque et merveilleux, inspiré du Jardin des délices de Jérôme Bosch, conservé au Prado, à Madrid. Ce triptyque énigmatique figure au centre une vie terrestre exubérante, entre deux panneaux représentant le Paradis et l’Enfer. La même folie luxuriante inspire la création du plasticien Philippe Quesne, déjouant toute tentative d’explication au profit d’une profusion symbolique drôle et sensible, d’une imagination débridée tendue entre le passé et l’avenir. En contrepoint de ces images fulgurantes, de la musique et des chants baroques ponctuent le spectacle. La performance d’une moule géante suscite l’hilarité après une lecture en italien évoquant les cercles de l’Enfer de Dante. Ailleurs, un prophète médiéval croise un extraterrestre. Le metteur en scène parle lui-même d’une « épopée rétrofuturiste ». Il explore en effet les incertitudes suscitées par une époque de transition et de rupture, comme le peintre flamand, réalisant son tableau entre 1490 et 1500, dans une époque de grandes découvertes et de basculement. Pour le philosophe Élie During, spécialiste de Bergson, coauteur avec l’artiste Alain Bublex d’un essai intitulé Le futur n’existe pas (Éditions B42, 2014), le « rétrofuturisme se signale par la capacité du présent à porter une image de lui-même comme futur ; mais aussi simultanément, comme passé ». Il ne s’agit pas d’une rêverie nostalgique ni d’une projection utopique, car « le rétrofuturisme est une fantasmagorie du présent, […] une tendance objective travaillant au cœur du contemporain », écrit-il. Cette fiction agissante a d’ailleurs un effet immédiat : elle réenchante le monde, en offrant une occasion de se réjouir et d’espérer, même en pleine crise.
Le Jardin des délices / De Philippe Quesne / Avec Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Elina Löwensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaëtan Vourc’h / Au Théâtre Vidy-Lausanne du 26/09 au 05/10 ; au Maillon de Strasbourg les 12 et 13/10 ; à la MC93 de Bobigny du 20 au 25/10, puis en tournée / Durée : 2 heures
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