L’avénement du dualisme
En dissociant pensée et matière, Descartes a fondé le monde moderne et posé la question de l’union de ces deux réalités en chacun de nous. Une rupture racontée par Pierre Guenancia, spécialiste de la pensée classique.
Une nouvelle conception des rapports de l’âme et du corps, sur laquelle nous vivons toujours, est apparue à l’aube de la modernité philosophique et scientifique. On a vu alors se dissiper l’animisme ancien – l’idée que le monde et les corps sont “animés”, habités par des forces spirituelles qui leur donnent vie et mouvement – au profit d’une vision plus simple et plus neutre du monde, dissociant la sphère d’un sujet conscient de lui-même de celle de la matière, régie par des lois mécaniques. C’est ce qu’on appelle le dualisme* moderne, sans lequel ni la physique ni la médecine n’auraient pu prospérer. Et c’est cette dissociation que Descartes a fondée. Comme l’indique le sous-titre de ses Méditations métaphysiques, il entendait “démontrer la distinction réelle de l’âme et du corps”, conçus comme deux substances* incommensurables. D’un côté, le corps, portion d’étendue divisible et réglée mécaniquement. De l’autre, l’esprit, chose pensante et libre, une et indivisible.
Pour Descartes, le corps se présente comme une architecture visible, un assemblage d’organes qui régissent de manière autonome leur fonctionnement. C’est un automate, un “corps-machine”, comparable à une horloge capable de se remonter toute seule. Les corps n’ont pas besoin d’une âme pour se mouvoir. Ils obéissent à des lois mécaniques. À la différence des corps dont les mouvements et figures sont réglés mécaniquement, l’âme est le lieu de la liberté et de l’imprévisibilité. La pensée, c’est la possibilité d’inventer à tout moment. Ainsi, quand je parle, on ne peut pas déterminer du dehors ce que je vais dire l’instant suivant, c’est une création continuelle. Indéterminée et invisible, l’âme est pourtant ce qui est appréhendé du dedans avec la plus grande certitude. Il y a une sorte d’autoperception de l’âme. Elle est consciente d’elle-même, comme de tout ce à quoi elle pense. L’âme est une chose qui pense, c’est ce qu’établira la seconde Méditation métaphysique. Elle pense, c’est-à-dire aussi qu’elle est capable de vouloir, de désirer, d’imaginer, de sentir.
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