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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Généalogie d’une notion

L’attention, une sagesse devenue instrument du capitalisme

Nicolas Tenaillon publié le 21 janvier 2022 4 min

Dans un monde saturé d’informations et de publicités, savoir capter l’attention du consommateur est devenu un enjeu majeur de la société capitaliste. Théorisée par la branche peu connue de la science économique appelée « économie de l’attention », cette évolution essentiellement due aux nouvelles possibilités d’attractivité qu’offre le numérique redéfinit la notion même d’attention, chère aux philosophes. Mais à quel prix ?

 

Marc Aurèle : l’attention comme contrôle de soi

C’est peut-être chez les stoïciens qu’on trouverait une première réflexion sur l’attention, où celle-ci apparaît comme une condition de la maîtrise de soi. Pour savoir se contrôler, il convient d’abord de ne pas accorder d’importance à ce qui nous distrait. Si, par exemple, un bruit terrifiant comme le tonnerre n’ébranle pas l’âme du sage, c’est parce qu’il refuse de donner son assentiment à son imagination tentée d’associer le grondement du ciel à une colère divine. Non pas ignoré mais réduit à sa portion congrue, l’évènement perturbateur doit être en outre enfermé dans le temps de son surgissement : le présent. Ainsi ces effets ne risquent-ils pas d’être amplifiés. Marc Aurèle résume en une formule cette injonction salvatrice à l’attention : « Efface la représentation. Arrête cette agitation de pantin. Délimite le moment présent. » (Pensées pour moi-même, VII, 54) Être attentif, c’est contrôler notre rapport au réel. Mais est-ce vraiment le comprendre ?

 

Descartes : l’attention comme condition d’accès au vrai

L’attention est davantage interprétée par Descartes comme une forme de concentration extrême. Elle forme une sorte de faisceau qui s’intensifie lentement jusqu’à permettre de voir la vérité perçue alors comme une évidence. Exercer son attention requiert de procéder par ordre et de ne pas hésiter à attarder son esprit sur les objets les plus accessibles. Comme l’expliquent les Règles pour la direction de l’esprit (1629) : « Il faut tourner toutes les forces de son esprit vers les choses de moindre importance et les plus faciles, et s’y arrêter longtemps, jusqu’à ce qu’on soit accoutumé à avoir l’intuition claire et distincte de la vérité. » (Règle IX) L’attention acquiert donc avec Descartes une valeur méthodologique. Être attentif s’apprend et finit par rendre perspicace, c’est-à-dire capable de distinguer le vrai du faux. Mais, ainsi conçue, l’attention ne risque-t-elle pas d’être confondue avec une simple représentation des qualités objectives de la réalité perçue ?

 

Simone Weil : l’attention comme ouverture au mystère du réel

Affranchie de son maître Alain, lui-même héritier assumé de Descartes, Simone Weil soutient dans Attente de Dieu (1942), le recueil de sa correspondance avec son directeur religieux, le père Perrin, que l’attention n’est pas une « espèce d’effort musculaire », mais une capacité à suspendre toute compréhension rationnelle ou volonté personnelle pour se rendre « disponible, vide et pénétrable à l’objet ». Elle est, comme le dit encore Simone Weil dans La Connaissance surnaturelle (publié à titre posthume en 1950), « la passivité de la pensée en acte ». Ainsi, en passant de l’intellection à l’intuition puis de l’intuition à l’attente, l’attention devient-elle créatrice puisque, bien comprise, elle incite à « faire attention à ce qui n’existe pas » aux yeux du monde. Chaque acte d’attention peut alors, dans la prière notamment, devenir une relation au Bien inapparent ici-bas. Mais cette spiritualisation de l’attention est-elle compatible avec la vision du monde que nous imposent le progrès technique et le modèle économique capitaliste ?

 

Yves Citton : l’attention comme ressource rare à contrôler

On se souvient de la phrase polémique de Patrick Le Lay, ancien directeur de TF1 récemment décédé : « Ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » (Les Dirigeants français et le changement, 2004). Avec cet aveu, tout est dit : l’attention se monnaye. C’est une ressource rare, car la capacité d’attention des individus est limitée alors que les moyens de sollicitation se démultiplient. Développer des stratégies pour capter l’attention des consommateurs d’images que nous sommes tous devenus est désormais primordial. Certes, le problème n’est pas nouveau : le sociologue Gabriel Tarde évoquait dès 1902 le « besoin d’un gloriomètre » pour mesurer les nouvelles formes de valorisation à travers « la simultanéité et la convergence des attentions, portées sur un homme ou sur un fait qui devient dès lors notoire ou glorieux ». Mais l’essayiste suisse Yves Citton montre dans L’Économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ? (La Découverte, 2014) qu’avec les technologies et les pratiques nouvelles, « l’attention est en passe de devenir la forme hégémonique du capital ». Citton ne croit cependant pas à une « crise de l’attention » irrémédiable qui nous condamnerait à une « distraction abrutissante » perpétuelle. Si nous restons attentifs les uns aux autres, une « écologie de l’attention » qui la préserve des lois du marché demeure possible…

 

Successivement comprise comme condition de la sagesse, du savoir et de l’ouverture à l’invisible, l’attention semble aujourd’hui avoir perdu de son prestige. Manipulée par les stratèges du marketing, est-elle pour autant destinée à devenir la dupe du marché ? Pour échapper à ce triste destin, il nous faudra … redoubler d’attention.

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