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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Gravure d’Abraham Bosse (v.1603-1676), “Le Mari qui bat sa femme”, v.1633. Éd. Jean Ier Le Blond (v.1592-1666). © Musée Carnavalet, Histoire de Paris

L’arnaque au bon père de famille

Victorine de Oliveira publié le 06 septembre 2023 4 min

« L’expression a beau avoir disparu du Code civil français en 2014, le mythe reste tenace. Jusque-là, un locataire s’engageait à “user de la chose louée en bon père de famille” et à “apporter tous les soins d’un bon père de famille” au bien en question. L’expression, issue du droit romain et consacrée en 1804 par Napoléon, a été remplacée par l’adverbe “raisonnablement”. Mais on n’efface pas des siècles d’une telle présence tutélaire en un claquement de doigts…

Les bons pères de famille continuent d’incarner la raison, la justice et l’équilibre par défaut, quand bien même leur comportement laisserait à désirer. C’est ce qu’explore Rose Lamy dans un nouvel essai paru aujourd’hui : En bons pères de famille (JC Lattès, 2023).

Lorsqu’en 2014, la député EELV Brigitte Allain propose devant l’Assemblée nationale de modifier plusieurs articles du Code civil afin de faire disparaître la notion de “bon père de famille”, elle avance que “cette expression attribue à l’homme, père de famille, la qualité d’être bon gestionnaire. C’est une pure discrimination, stéréotype de genre. De surcroît, être bon père de famille ou bonne mère de famille consiste avant tout à nouer un lien affectif et éducatif avec les enfants. C’est tout à fait différent de la capacité à gérer un patrimoine public ou privé”.

S’il a fallu tout ce temps pour enfin lui couper (un peu) l’herbe sous le pied, c’est que le pater familias exerce son influence depuis l’Antiquité. Cicéron lui rend hommage dans De la vieillesse sous la figure d’Appius, un vieillard certes aveugle mais à l’esprit encore “tendu comme un arc”. “[Il] exerçait sur les siens non seulement son autorité, mais son pouvoir : ses esclaves le craignaient, ses enfants le respectaient, il était aimé de tous. Dans ce domaine d’exception, la tradition et la discipline ancestrales se portaient bien.” Or si l’on regarde bien autour de nous, les véritables “bons pères de famille” ne sont pas légion. À se demander même s’ils constituent une quelconque règle.

Pour écrire son essai, Rose Lamy a dû affronter un effroi personnel : la révélation des violences commises par son père sur sa mère. Cristallisé après sa mort comme un homme serviable, pilier de sa communauté, ce père était pourtant de ceux qui, dans le secret du foyer familial, s’en prenait à sa compagne. Ce n’est qu’après l’écriture de son premier essai consacré au traitement médiatique des violences faites aux femmes, Défaire le discours sexiste dans les médias (JC Lattès, 2021), que l’autrice apprend la vérité par ses sœurs. Ce qu’elle pensait jusque-là étudier en observatrice extérieure apparaît subitement comme la source de tout. Cet ancrage personnel, qui a priori ferait obstacle à l’objectivité dont tout auteur devrait faire preuve “en bon père de famille” justement, crée pourtant la possibilité du lien avec ses lecteurs.

Nous sommes nombreux à avoir été les victimes de l’arnaque au “bon père de famille”. Il y a un an environ, ma mère et ses sœurs, puis mes cousines et moi avons reçu un courrier avec pour objet “obligation alimentaire”, suivi du nom d’un homme que soit nous n’avions pas vu depuis 30 ans, soit nous ne connaissions même pas. Après l’admission de mon grand-père en Ehpad, l’administration nous réclamait une participation financière. L’obligation alimentaire stipule dans l’article 205 du Code civil que “les enfants doivent des aliments à leur père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin”, le terme “aliment” renvoyant à tout le nécessaire à la vie courante. Nul ne peut s’en affranchir, à de rares exceptions près, notamment l’“exception d’indignité”, qui doit faire l’objet d’une décision de justice.

Pour l’administration française, cet homme, mon grand-père, est considéré par défaut comme un “bon père de famille” qui mérite soins et respect. Quelle ironie. Tant que sa femme et ses enfants sont demeurés sous le même toit, il ne s’est pourtant pas passé un jour sans humiliation, vexation, violences physiques même, ces dernières visant exclusivement ses enfants, notamment son fils. Les gendarmes se sont déplacés suite à deux mains courantes déposées par ma grand-mère – on est au début des années 1990, cela n’ira pas plus loin, s’ils ont été suffisamment alertés par le signalement, ils n’ont pas que ça à faire non plus.

Mon grand-père avait tout pouvoir sur le foyer, se permettant par exemple de trafiquer l’électricité pour priver tout le monde d’eau chaude et de chauffage, en plein hiver. La nourriture pouvait aussi faire l’objet d’un chantage. Dans la même “logique”, il refuse d’héberger ma mère alors qu’elle se retrouve sans toit suite à une séparation. J’avais 5 ans, et je n’ai pas gardé un si mauvais souvenir du foyer d’accueil. Tyran dans le secret du foyer, il jouissait pourtant du statut d’honnête agriculteur. Ses filles payent désormais tous les mois une participation à sa prise en charge.

Cette situation n’a rien d’une exception. Si elle n’est pas non plus une règle, elle est d’une triste banalité, “exactement dans la norme sociale” comme l’écrit Rose Lamy, norme que le droit soutient encore. “Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d’un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous”, conclut-elle. Comment faire pour que cela change ? Depuis la description de Cicéron, la loi s’est certes débarrassée d’une référence sexiste. Restent d’innombrables récits qui peinent à trouver justice. »

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