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© Sam Manns/Unsplash

Relations humaines

L’amitié, une affaire d’odorat ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 22 juillet 2022 5 min

Ressemblance ? Goûts partagés ? Histoire commune ? À quoi tient donc l’amitié que nous nouons avec d’autres ? À l’odeur, répond une étude menée au Weizmann Institute of Science, récemment parue dans la revue Science Advances. De quoi porter un regard nouveau sur nos proches… et même sur ceux qu’on ne peut pas sentir !

Ce que dit l’étude liant amitié et odorat

L’équipe israélienne de l’Institut Weizmann a comparé 22 duos d’amis et 44 duos sans affinités, et constaté que les amis possédaient souvent une odeur corporelle proche. « Nous avons observé que les dyades dont les odeurs étaient plus similaires avaient des interactions dyadiques plus positives. En d’autres termes, nous avons pu prédire le lien social à l’aide d’un nez électronique. » Selon cette étude, l’amitié est donc aussi une affaire d’odeur. Ce que l’on savait concernant l’amour et le rôle facilitateur des phéromones dans l’appariement aurait donc bien cours également pour les relations non charnelles.

Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe a procédé en deux temps. D’abord, le nez électronique (eNose) a senti 20 paires d’amis et a constaté une similitude olfactive entre la plupart des individus. Ensuite, pour exclure d’éventuels facteurs extérieurs (les amis peuvent partager un même mode de vie, ce qui peut expliquer en aval la proximité de leur odeur), les chercheurs ont formé 66 duos aléatoires. Après chaque rencontre, chaque membre du duo devait évaluer la qualité de l’interaction et la possibilité que l’inconnu rencontré devienne un ami.

Résultat : 22 duos ont signalé une affinité instantanée. Or, partant du postulat que l’odeur corporelle influençait les relations, eNose a été capable de deviner avec 71% de précision quelles seraient les interactions positives. Pour les chercheurs, ces résultats sont à la fois novateurs et pas si étonnants, compte tenu de la façon dont les animaux procèdent habituellement : « Les mammifères terrestres non humains se reniflent constamment et, en fonction, décident de qui sont leurs amis ou ennemis. » Si les humains ont abandonné ce reniflement ostentatoire, pour des raisons culturelles et de politesse, ils le pratiquent encore inconsciemment, au quotidien.

L’odorat, un sens initialement rattaché à l’amour

Cette étude va à contre-courant de ce que la philosophie et la psychanalyse disent de l’odorat, rattaché exclusivement au désir et à l’amour. Freud voit dans le flair le vecteur essentiel de la pulsion sexuelle, de l’instinct animal : « Il faut se souvenir que le sens principal chez l’animal (même pour la sexualité) est l’odorat, qui chez l’homme est rabaissé » (Lettre à Wilhelm Fließ, 1897). L’amour et le désir s’attachent au corps, et c’est bien la raison pour laquelle l’odeur, plus que tout autre sens peut-être, leur sert d’aiguillon. Car l’odeur est – et Sartre le souligne également– profondément charnelle : « L’odeur d’un corps, c’est ce corps lui-même que nous aspirons par la bouche et le nez, que nous possédons d’un seul coup comme sa substance la plus secrète et, pour tout dire, sa nature. » (Baudelaire)

Que l’olfaction joue un rôle fondamental dans l’amitié, comme le souligne la récente étude israélienne, n’a au contraire rien d’évident. L’amitié n’est-elle pas, en effet, affranchie de l’attirance pour les corps ? Du moins, les sens y occupent en général une place mineure, secondaire – au profit d’une amitié des âmes.

L’odeur, un condensé de l’autre

Quel rôle joue donc le flair en amitié ? Pour le comprendre, il faut souligner l’ambiguïté de la phrase de Sartre : si l’odeur se rattache d’une certaine manière au corps, elle n’évoque pas simplement telle ou telle partie, tel ou tel trait, telle ou telle dimension attirante de l’apparence. L’odeur ramasse en elle quelque chose d’autre que ce que nous en connaissons du corps de l’autre. Elle en est, pour ainsi dire, un condensé : l’essence impalpable, volatile, à la limite de l’immatérialité. Elle ne fournit pas, du corps, une information quelconque, mais se soustrait, au contraire, à toute forme que l’esprit pourrait saisir.

L’odeur est partout et nulle part. La vérité secrète, souterraine, invisible du corps qu’elle porte n’est jamais donnée comme l’est la chair, sur le mode d’une présence, mais bien plutôt comme une absence. L’odeur subsiste, insiste, d’ailleurs, en l’absence de l’objet dont elle émane, contrairement à la vision, asservie à la présence. Proust le remarquait, dans un passage célèbre de la Recherche, qui n’exclut pas l’amitié de cette considération : « Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

Tout le corps, et plus encore, tient dans cet unique éclat odorant. Tel est le propre de l’essence au sens philosophique, qui dit la substantifique moelle de la chose. L’essence ne se donne jamais directement, mais seulement par l’intermédiaire de cas particulier à partir desquelles il faut l’abstraire par un travail de l’esprit. La senteur est à la fois ce qu’il y a de plus et de moins matériel ; elle manifeste l’intrication des deux. De ce point de vue, si elle peut évoquer de prime abord des comportements animaux, l’affinité olfactive prend, chez l’humain, une dimension abstraite et spirituelle qu’elle ne possède sans doute pas pour la bête. Le rabaissement de l’olfaction que Freud observait chez l’être humain est en réalité bien davantage une transfiguration.

“Une âme qui revient”

Bien des penseurs et des poètes verront dans l’odeur un écho de l’âme, principe personnel unique qui anime le corps vivant. « Parfois, on ouvre un vieux flacon qui se souvient / D’où jaillit toute vive une âme qui revient », écrit encore Baudelaire dans Le Flacon. Dans le parfum, l’âme et le corps sont entrelacés, et leur tissage est la substance même de la singularité. Sentir l’odeur de quelqu’un, cette odeur qui lui est propre, même mêlée de parfum, c’est encore connaître étroitement cette personne – tout en reconnaissant que quelque chose, dans cette compréhension, nous échappe inéluctablement.

Bachelard résume dans La Poétique de la rêverie (1960) : « Une odeur aimée est le centre d’une intimité », d’une communion secrète des êtres en deçà de toute communication verbale. Se joue, dans cette communion, quelque chose d’impondérable : impossible de dire pourquoi une odeur nous plaît, pourquoi elle résonne en nous. Cette résonance indicible tient à notre singularité odorante comme à celle de l’autre. Mais – et l’étude israélienne semble le confirmer à sa manière – empiriquement, c’est bien cette résonance à la croisée de la chair et de l’esprit qui fait le sol de l’amitié.

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