L’âme du secret

L’homme secret aime les aphorismes : « Partout l’âme est un secret », « Avoir une âme, cela veut dire avoir un secret », écrit Pascal Quignard dans Vie secrète. Partout l’âme est un secret et l’âme du secret est partout : secret d’Etat, secret médical, secret d’alcôve, secret du refoulé, il imprègne nos relations personnelles – de l’amour à l’amitié –, dessine les frontières de l’intimité, s’immisce dans le champ politique. Le secret est le lieu d’une fabrique de soi et de l’exercice du pouvoir : « Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner », dit l’adage. Il maintient le sujet dans un état de séparation, mais impose la présence de l’autre et suppose l’existence d’un partage, d’une communauté. Une société secrète se fonde sur ce qu’elle cache aux autres. En ces temps où la transparence et son corollaire, la surveillance, battent leur plein, n’est-il pas un refuge possible pour les corps ? Aveuglant donc lumineux, mais illisible car invisible. Aussi tranchant que retranché, le secret : secretum, au sens étymologique du terme, c’est ce qui est mis à l’écart, séparé, crypté. Comment le remettre au centre, en parler, sans le défigurer, le manquer, le perdre irrémédiablement ? C’est bien cette tension, toujours à même de se figer en une aporie théorique, qui en fait un objet de pensée de premier ordre. Le secret est philosophique car le secret, fondamentalement, porte un savoir. Pour Jacques Derrida, sa demeure est la littérature même. Seule capable d’accueillir, sans les briser, ces fictions paradoxales du secret.