“La Zone d’intérêt” de Jonathan Glazer, grand film ou ratage ?
La Zone d’intérêt du cinéaste britannique Jonathan Glazer, vient de sortir. Lauréat du grand prix du Festival de Cannes, il connaît un exceptionnel succès public. Il raconte la vie quotidienne de la famille du commandant du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, Rudolf Höss, dans leur maison qui jouxte immédiatement le camp, de 1943 à 44. S’agit-il d’un chef-d’œuvre, comme le pense Michel Eltchaninoff, ou d’un échec, aux yeux de Martin Legros ? Voici leurs lectures, très divergentes.
Pour : l’inquiétante étrangeté de la maison nazie
Par Michel Eltchaninoff
Je craignais deux choses en allant voir La Zone d’intérêt, après avoir vu la bande-annonce et entendu plusieurs commentaires dithyrambiques. La première était l’esthétisation de l’horreur : de rigoureux plans fixes, des couleurs extrêmement travaillées, une bande-son destinée à devenir culte, un montage mathématique… Le terme « magistral et glaçant », accolé par la critique à La Zone d’intérêt, sonnait comme un mantra un peu facile, et surtout impropre à aborder cette tragédie humaine et historique. Ma seconde prévention concernait le télescopage temporel inévitable qui allait en ressortir. Les protagonistes du film, le commandant d’Auschwitz, sa femme, ses enfants, dont la maison jouxte le camp, avaient fini par s’habituer aux cris, aux bruits de balles et au grondement des fours. Et nous, alors ? Entendons-nous les hurlements des peuples souffrant de la guerre ou de la misère tout autour de nous ? L’être humain est un animal qui s’habitue à tout, surtout à la souffrance d’autrui. C’est entendu. Mais est-ce que ça valait un film ?
Je pense que oui, et je trouve qu’il est parfaitement réussi. Tout d’abord, même si Jonathan Glazer, le scénariste et réalisateur, a réinterprété très librement le personnage réel de Rudolf Höss (1901-1947) et le roman de Martin Amis, il expose une face passionnante du nazisme : la façon dont il a pu être vécu dans les vies quotidiennes et professionnelles. Le couple Höss incarne le nazisme optimiste, celui de l’avenir. Il adhère complètement au projet de colonisation de l’espace vital de l’Europe orientale. Le mari administre, de manière rigoureuse, un génocide. Mais il le fait pour pouvoir accéder à son rêve : créer une immense ferme dans un territoire « libéré » des Juifs et où travailleraient les esclaves slaves. C’est pourquoi les Höss ont pris tant de soin à construire leur demeure avec piscine et à l’agrémenter d’un superbe jardin. On dirait presque un pavillon des années 1960 à la Jacques Tati. Leur intérêt, professionnel (car Höss est carriériste) et domestique (car son épouse Hedwig aime gérer une maison), s’accorde parfaitement avec la stratégie politique de peuplement de l’Est. Tout est ici dialectique : la volonté privée de s’enrichir et de s’élever s’articule avec le plan d’Hitler. Et tant pis si pour cela – c’est dialectique, ça aussi –, il faut organiser l’assassinat de masse de centaines de milliers de personnes. C’est le nazisme vu par un petit-bourgeois.
En dépeignant la vie quotidienne du commandant du camp d’Auschwitz et de sa famille sans jamais montrer frontalement la réalité de la Shoah,…
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