“La sensibilité est-elle une faiblesse ?”
Question de Margaux Catalayoud
Réduire la sensibilité à une faiblesse est une idée datée, qui ne peut s’entendre qu’au sein d’une vision rationaliste dépassée. En effet, pour les rationalistes, qui sont aussi dualistes, c’est par la raison que l’homme est capable de se comprendre et de comprendre le monde, de s’arracher aux mirages ou aux déformations de la sensibilité. « Philosopher, c’est apprendre à mourir », affirme Socrate : apprendre à mourir à son corps, à sa sensibilité, pour n’être plus qu’un pur esprit capable de contempler les idées éternelles. « Nos sens nous trompent », reprendra Descartes, comme en écho. Selon lui, c’est dans notre esprit, non dans notre corps, que Dieu a eu la gentillesse de disposer des « idées innées » nous permettant de reconnaître les évidences premières. Être « trop sensible » relèverait alors en effet d’une faiblesse de la raison, voire de l’âme. Cette position dualiste, que l’on trouve aussi chez les stoïciens, est difficile à défendre aujourd’hui. Nous savons désormais, notamment grâce à des phénoménologues comme Husserl ou Merleau-Ponty, que nous sommes des « corps intelligents » : la sensibilité est devenue perception. Nous avons une intelligence du monde, écrit Merleau-Ponty, parce que nos corps sont pris dans le « tissu du monde » : c’est à partir de cet « être au monde » que se déploie notre perception. Notre sensibilité n’est plus alors une faiblesse mais une force. Auparavant, dans son Esthétique, Hegel avait déjà montré combien notre sensibilité peut être intelligente, voire spirituelle : contempler les belles formes d’une cathédrale gothique ou d’un tableau de Brueghel, c’est penser avec ses yeux. S’émouvoir de la musique de Bach ou de Beethoven, c’est penser avec ses oreilles – accéder au sens, mais de manière sensible. Hegel a écrit l’Esthétique dans les années 1820. Impossible, depuis, de demeurer dualiste… Notre raison, de toute façon, est loin d’être toute-puissante. Elle est capable de s’« auto-illusionner », de démontrer une chose et son contraire, de buter contre le réel. Heureusement que notre sensibilité vient alors à sa rescousse… Mais parler ainsi, c’est être sans doute encore trop dualiste : ce n’est pas la sensibilité qui vient secourir la raison, mais la raison elle-même qui se fait sensible, autre manière de dire que notre sensibilité se découvre intelligente. Il suffit d’une seule expérience esthétique, d’une seule intuition pour n’en plus douter.
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