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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Fanny Morizot

La patience de la panthère

Baptiste Morizot publié le 04 juillet 2017 14 min

C’est au Kirghizistan, au cœur de l’Asie centrale, que le philosophe Baptiste Morizot est parti pister la panthère des neiges, “fantôme des montagnes”. Au fil des journées sur les traces de ce très rare félin, il a médité sur la patience dont les êtres humains – comme les grands prédateurs – sont capables.

À l’entrée de la réserve de Naryn, nous répartissons le bât sur les chevaux qui vont nous emmener en expédition. Nous passerons plus de onze jours en autonomie totale, dans une réserve intégrale interdite aux humains, sanctuaire pour tous les autres vivants qui peuplent les crêtes, les hauts plateaux steppiques et les forêts d’épicéas. Seuls les rangers et les scientifiques ont le droit d’y pénétrer.

L’expédition se donne pour objectif le suivi de la faune sauvage de la réserve par des pratiques de science participative. Écovolontaires, nous allons appliquer les techniques issues de l’écologie scientifique : observations, relevé d’indices de présence, comptage, et les transects, ces randonnées sur des trajectoires très précises, reliant des points GPS. Les grands prédateurs et les rapaces sont à l’honneur : localisation des aires de nidification de l’aigle royal, comptage du vautour de l’Himalaya, pistage de l’ours, suivi du loup et, surtout, recherche sans relâche de celle qui a donné son nom à l’organisation non gouvernementale à l’origine de cette expédition, OSI Panthera (Objectif Sciences International) : la panthère des neiges, le « fantôme des montagnes ». Il faudra trouver ses traces, ses chemins immatériels, du fond des vallées glaciaires aux crêtes enneigées. Nous allons remonter la rivière Naryn, qui se jette loin derrière nous dans le fleuve Syr-Daria.

 

Aller voir ce qu’il y a derrière

Les jours passent. Nous arrivons à la cabane d’Umeut (prononcez « Ü-meute »), chalet de rondins au toit recouvert de prairie. Ce sera le camp de base pour une expédition exigeante : monter à la crête d’Umeut, à 3 900 mètres d’altitude, et la longer en un transect long de plusieurs kilomètres.

Nous chargeons les chevaux avec les tentes, pour aller dormir juste sous la crête, dans des paysages défiant l’imagination, interminables barres rocheuses dans le ciel. La montée commence, plus de 1 000 mètres de dénivelé, dans les buissons de Myricaria et les pierriers. Penchés sur l’encolure, rênes courtes, nous traquons les indices. Nous nous arrêtons souvent pour scruter les pentes, les rangers kirghizes pointant d’invisibles bouquetins que nous distinguons à peine aux jumelles. Enveloppés dans leurs parkas militaires, les rangers en rient, comme de tout ce qui arrive.

Nous chevauchons sous l’orage de grêle, le sol d’humus couvert de cailloux blancs de glace. Dans mon carnet humide, j’écris : « Le poncho du cavalier protège le cheval du chanfrein jusqu’à la queue, et sa chaleur montante m’enrobe sous la cape – échange de bons procédés. » Le convoi s’arrête : le chemin à peine ébauché a été arraché devant nous par une crue de la rivière. On s’active, terrassant le sentier devant les chevaux à coups de pelle et de pioche, sciant les troncs, débitant les obstacles à la hache, contre cette habitude obstinée de la forêt qui travaille à se refermer. Construisant le chemin contre l’inépuisable ravinement du monde.

Le soir tombe, et nous arrivons sous des trombes d’eau au petit plateau tapissé d’herbe grasse qui accueillera notre camp. Nous assurons notre meilleure performance de montage de tente. Et puis l’orage s’arrête, le ciel se dégage, et nous sommes sans doute au centre du monde, puisque tout, autour, coupe le souffle et élève cet étrange ciel qui est dedans, et que certains appellent âme.

Tous les jours nous travaillent comme le vent la silhouette des arbres, par leur intensité sensorielle : les rafales glacées qui traversent le corps, comme si nous étions des fantômes, des vents nous aussi, mais nous continuons à avancer transis, puis vivifiés d’être devenus immatériels. Les orages de grêle nous clouent sur nos chevaux ; toutes ces intempéries que l’on avait appris à fuir, qui ici un instant nous effraient, mais que nous traversons (car il n’y a nulle part où fuir, où s’abriter), pour enfin comprendre, transformés, essorés, traversés, trempés, qu’il n’y avait rien à craindre. Puis les soleils caniculaires nous sèchent, et, partout, les paysages immenses rentrent au forceps dans les yeux, nous faisant dedans aussi vastes qu’eux ; et la pluie glacée à nouveau, les déséquilibres des sols crevassés, du bush, l’amble du cheval le long des corniches de vertige, la traversée des rocailles, des torrents, des taillis, mille sols pour les pieds auxquels s’ajuster, exerçant ce qu’il y a de si intelligent dans un corps vivant. Intensité physique aussi : avancer sur des terres qui ne connaissent pas le sentier, les rotules branlant dans les pierriers, sur des travers qui ne sont pas faits pour l’humain, puis se laver dans l’eau glacée, la peau malmenée par les genévriers cinglants, mais toujours joyeux, d’être surélevés au-dessus de soi, toujours tranquilles, après avoir désappris chaque jour un peu plus la peur infondée de la grêle, de l’éboulis et des vertiges.

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