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Vincent Van Gogh, “Les Vieux Souliers”, huile sur toile, 1886. Coll. Van Gogh Museum, Amsterdam (Pays-Bas). © Domaine public

La grande conspiration des objets

Clara Degiovanni publié le 09 février 2024 3 min

« Connaissez-vous les objets “semi-cassés” ? Ces appareils qui marchent parfois, mais pas tout le temps ? Qui ne daignent fonctionner que si, et seulement si, vous effectuez une certaine manipulation dont vous seul avez le secret ? Pour moi, il s’agit (entre autres) d’un casque audio. Pour avoir du son, je dois positionner l’extrémité du fil – la fiche jack – d’une certaine manière sur le port de mon portable. Au moindre mouvement, tout se met à grésiller. C’est périlleux, et nerveusement pénible.

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Cette histoire de casque, certes radicalement anecdotique, est représentative de mon rapport aux objets. Je déteste tous les systèmes dits “intuitifs”. Je tiens en haine tout ce qui est piston, petits mécanismes à enclencher et autres manettes à actionner. Dès qu’il faut empiler ou emboîter des choses, monter un bidule, tirer sur une chevillette pour faire choir une bobinette, je sais d’avance que c’est foutu. Entre mes mains pataudes, tout devient fastidieux et horripilant, et je finis souvent par endommager les choses qui m’entourent.

J’entretiens donc une inimitié assez coriace envers les objets, qui me le rendent bien. En ma compagnie, ils finissent invariablement par biper bizarrement, clignoter sans raison, produire des secousses ou des vibrations inquiétantes, qui laissent présager leur implosion future ou leur combustion spontanée (mon chauffage récemment m’a fait une frayeur). Je pourrais poursuivre cette litanie, mais je vais plutôt tenter de décrire ce que serait pour moi l’objet idéal.

D’abord, cet objet parfait doit avoir fait ses preuves : avoir un minimum de vécu. Au risque de paraître vieux jeu, je ne veux surtout pas d’un produit high tech flambant neuf et minimaliste avec des “fonctionnalités intuitives” ! Ici, l’intuition est toujours un piège. Elle renvoie à une évidence… qui n’est évidente que pour les initiés. À bien y regarder, ces produits cachent en réalité une foule de petits bugs, d’autant plus pénibles qu’ils sont dissimulés et sous-estimés par leur interface épurée, faussement facile d’approche et fictivement docile.

Il faut donc admettre qu’un objet parfait requiert toujours un certain temps d’adaptation. Connaître une chose, cela s’apprend : ce n’est jamais “intuitif”. Dans la Phénoménologie de la perception (1945), Maurice Merleau-Ponty raconte comment l’organiste se familiarise avec un orgue qu’il découvre pour la première fois. “Il prend mesure de l’instrument avec son corps, il s’incorpore les directions et les dimensions, il s’installe dans l’orgue comme on s’installe dans une maison.” Au concept “d’intuition”, je préfère celui “d’installation”, plus modeste et plus honnête. Certes, il a fallu apprendre à jouer de l’orgue, mais une fois que l’on sait en jouer, on peut “habiter” dans toutes les orgues, s’y sentir chez soi.

De plus, l’objet parfait n’est pas forcément complexe : il sait s’adapter au propriétaire, se comporter comme une seconde peau, à la manière des souliers de Van Gogh décrits par Martin Heidegger dans ses Chemins qui mènent nulle part (1950). “Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers champs […] Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soi.” Ici, le pied qui a chaussé le soulier, le soulier qui a foulé la terre, se sont adaptés l’un à l’autre. Quelque chose du propriétaire est à jamais gravé dans la chaussure, et une part de la chaussure s’est inscrite dans la démarche du propriétaire.

Bref, l’objet parfait n’est pas un objectum – quelque chose qui est placé devant – mais une sorte d’abri. Il n’est pas un machin hostile et compliqué, qui gît-là, en face, mais un fidèle compagnon, une sorte d’allié inanimé, qui a la politesse de ne pas faire bip-bip pour exiger une mise à jour expresse. »

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