La boîte à idées

Philippe Nassif publié le 10 min

Et si les meilleures armes pour innover en entreprise – et rendre les réunions de travail (enfin) efficaces – étaient philosophiques ? L’avis des experts.

« Comment les gens ont-ils de nouvelles idées ? » – en anglais (« How Do People Get New Ideas ? »). Cet essai bref et incisif rédigé en en 1959 par Isaac Asimov circule depuis quelque temps sur le Net. L’écrivain américain de science-fiction aux intuitions visionnaires avait alors été invité par des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology à des « sessions de cogitation » collective. L’enjeu, en pleine guerre froide, est d’imaginer comment perfectionner le programme de défense antimissile des États-Unis. Asimov s’est-il lassé de ses séances de réflexion à plusieurs ? Toujours est-il que, après avoir participé à une poignée d’entre elles, il préfère se retirer. Mais il laisse, en guise de cadeau de départ, le fruit de ses réflexions à propos des moyens, pour un groupe, d’être créatif. C’est qu’une innovation, explique-t-il, consiste le plus souvent en une mise en relation de différents faits entre eux. On peut donc raisonnablement penser qu’une assemblée de gens à la fois « spécialistes dans leur domaine » et « excentriques » puisse élaborer un croisement inédit, qui permettra à l’un des participants de formuler une idée nouvelle. Reste que la chose est loin d’être évidente, note-t-il : « Un esprit créatif sera naturellement inhibé par la présence d’autres personnes, car le processus de création a ses phases embarrassantes : une bonne idée vous vient souvent au terme de plusieurs centaines d’idées idiotes que vous préférez naturellement garder pour vous. »

« Je ne pense pas qu’une session de réflexion collective puisse se passer de guides »

Isaac Asimov, écrivain de science-fiction

Penser à plusieurs, cela commence donc par réunir les conditions qui amèneront chacun à s’autoriser à livrer les spéculations bizarres qu’il réserve d’ordinaire à sa solitude. Quelles conditions ? Chasser de l’assemblée les personnes allergiques aux propos idiots ; se passer aussi de celles dont la réputation, la supériorité hiérarchique, l’éloquence ou le travers autoritaire réduiraient au silence les autres participants ; n’imposer aucune pression sur le résultat et donc, entre autres, ne surtout pas indexer une trouvaille à une récompense financière ; se limiter à un groupe de petite taille, Asimov avance le chiffre de cinq, afin que tout le monde puisse s’exprimer ; enfin, susciter une « ambiance joviale » en s’appelant par son prénom, en s’autorisant des blagues, en se réunissant dans un bon restaurant plutôt que dans une salle de conférences. Jusqu’ici, que du bon sens. Mais voilà, si cette atmosphère doucement anarchisante est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Et c’est là que la réflexion d’Asimov prend un tour essentiel – et neuf : « Je ne pense pas qu’une session de réflexion collective puisse se passer de guides », écrit-il. Car la conversation commune, pour être fertile, ne peut être abandonnée à elle-même. L’écrivain propose ainsi qu’un participant endosse le rôle de « psychanalyste » et qu’un autre tienne lieu « d’arbitre » : le premier étant capable de formuler les bonnes questions afin de stimuler le groupe, tandis que le second serait là, entre autres, pour rappeler aux participants l’enjeu de la session lorsque celui-ci est perdu de vue. Soit une contrainte souple qui garantit une pensée véritablement commune.

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