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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Yoray Liberman

Kibboutz. L’utopie perdue ?

Yael Reuveny publié le 21 mars 2018 19 min

Le bloc soviétique s’est effondré, la Chine s’est convertie à l’économie de marché… Où l’idéal socialiste résiste-t-il encore ? Peut-être dans les kibboutz, créés dès le début du XXe siècle par des migrants juifs en Israël. Leurs principes fondateurs tiennent-ils toujours ? Déconsidérés socialement, ils ont dû faire de larges concessions au marché et sont parfois minés par des dissensions internes. Pourtant, nos reporters ont trouvé là-bas des formes de reconnaissances inédites dans le capitalisme.

À la gare routière de Tibériade, en ce début d’après-midi, la température atteint les 36 °C. Les jeunes soldats et les routards religieux qui constituent la majeure partie des passagers se dépêchent de fuir le soleil pour rejoindre l’ombre de la salle d’attente. Nous sommes fin septembre. Que ressent-on quand l’asphalte fond à plus de 40 °C sur les parkings ? Les colons juifs originaires de Russie et de l’actuelle Ukraine arrivés peu avant la Première Guerre mondiale afin de cultiver des céréales sur les coteaux brûlés par le soleil ont dû avoir un choc en découvrant la fournaise et la dureté du paysage. Que quelques-uns aient réussi à s’installer durablement ici est d’autant plus étonnant si l’on songe que nul parmi eux n’avait de connaissances en matière d’agriculture.

Quelques repères historiques
1897 Réunis à Bâle, les partisans du sionisme, venus de différents pays, décident de fonder un État juif en Palestine.

1893-1903 Première vague d’immigration, nommée Alya (« ascension » en hébreu). Près de 30 000 Juifs émigrent, principalement de Russie et de Roumanie, en Palestine dite ottomane (la Palestine est l’une des provinces arabes de l’Empire ottoman jusqu’en 1917).

1904-1914 Seconde Alya. Cette seconde vague d’immigration juive en Palestine donne naissance aux premiers kibboutz.

1948 À la suite de la guerre d’indépendance et d’une résolution de l’ONU qui réclame la partition de la Palestine, les Juifs se constituent en État souverain en Palestine.

1956 Comme l’URSS soutient l’Égypte lors de la crise du canal de Suez, la plupart des kibboutz se scindent en deux factions, favorables ou non au stalinisme.

1967 Au cours de la guerre des Six Jours, Israël occupe la Cisjordanie. Au début des années 1970, les premières colonies juives y sont fondées.

Vers 2000 En raison de la crise économique et d’une baisse dramatique du nombre de leurs membres, la majorité des kibboutz se tournent vers la privatisation.

Jusqu’à nos jours À la suite de la privatisation, beaucoup de kibboutz accueillent désormais de jeunes familles israéliennes provenant de zones urbaines à forte densité.

Dans leur pays d’origine, à Minsk ou à Odessa, leurs parents avaient peut-être une vache ou une chèvre dans leur arrière-cour. Mais depuis des siècles, les lois excluaient les Juifs des métiers agraires et artisanaux. Leur savoir-faire manuel n’a donc pas pu jouer un rôle déterminant dans le succès du mouvement de colonisation en Palestine. Non, l’élément décisif a été qu’ils avaient quitté le laboratoire de la modernité, c’est-à-dire qu’ils étaient originaires de Russie, pays dont l’intelligentsia était, au début du siècle passé, la plus radicale d’Europe. Si l’on fait abstraction de la puissance de négation du réel qui caractérise la jeunesse, ils transportaient dans leurs bagages une pléthore d’utopies politiques et sociales – dont le socialisme et l’anarchisme – mais aussi toutes sortes d’idées concernant la réforme de la vie.

Cent ans plus tard, la flamme des grandes utopies du XXe siècle a cessé de brûler. La gauche, elle non plus, ne fait plus espérer d’autres avenirs, meilleurs ou paradisiaques, et ce constat contribue au renforcement global des mouvements populistes d’extrême droite. Il semble que nous ne puissions davantage penser le progrès que dans les limites étroites fixées par la réalité, c’est-à-dire comme changement, amélioration graduelle des situations existantes, et non plus comme une rupture radicale. Comment cela est-il aujourd’hui perceptible dans les kibboutz israéliens ? Un réalisme froid l’a-t-il emporté ici aussi ? Le désarroi et le fatalisme ont-ils tout envahi ? Ou bien leurs habitants sont-ils parvenus à sauver quelque chose de cet esprit d’utopie sous le signe duquel leurs aïeux ont jadis fondé ces kibboutz ?

 

Le mythe de la société idéale

Thomas More, l’humaniste anglais qui esquisse au XVIe siècle la première société fictive idéale des temps modernes européens, localise sa commune parfaite sur une île située face aux côtes d’Amérique du Sud. Cette île, il la baptise « Utopia » – un nom lui-même à l’origine d’un genre littéraire. D’une certaine manière, on doit considérer les habitants d’Utopia comme les premiers kibboutzniks : ils vivent dans des villas de plain-pied avec jardin, mettent tout leur travail au service des intérêts communs et ne con­naissent ni l’argent ni la propriété.

Les colons de la seconde Alya [seconde vague d’immigration juive, voir la chronologie] n’étaient pas à la recherche d’Utopia, mais ils étaient inspirés par un livre écrit dans la pure tradition de More : Terre ancienne, Terre nouvelle, de l’écrivain juif austro-hongrois Theodor Herzl, publié en 1902. Texte fondateur du sionisme politique, ce roman est une authentique utopie. Avocat viennois juif désillusionné par sa vie au sein de la diaspora, Friedrich Löwenberg accompagne un misanthrope riche qui veut quitter la civilisation. Après vingt passés sur une île paradisiaque, il débarque avec son mécène sur une autre située au milieu du Pacifique, sur laquelle des émigrants juifs en provenance de toute l’Europe ont fondé un nouvel État ressemblant à une démocratie idéale – la tolérance religieuse et la journée de sept heures y sont appliquées.

Contemporain des premiers grands voyages européens de découverte, Thomas More a naturellement placé sa société parfaite sur une île exotique. Or, depuis le XVIIIe siècle, les utopies n’ont plus pour cadre des contrées reculées, mais un futur plus ou moins lointain. C’est pourquoi l’action du livre de Herzl se déroule dans un avenir proche, en 1923. Ce moment est assez éloigné pour marquer la rupture avec le présent, mais pas suffisamment pour mettre à distance et relativiser le rêve de l’auteur : que l’État des Juifs puisse advenir, et – qui sait ? – peut-être même de son vivant.

Pour comprendre le caractère utopique des kibboutz, le mieux est probablement de se pencher sur le rôle qu’ont joué les capacités d’anticipation de leurs membres fondateurs. La première expérience, Degania, voit le jour près de Tibériade (au nord de l’actuelle Israël) grâce à un petit groupe d’émigrés judéo-russes. La communauté ne se compose sans doute que de quelques cabanes d’argile cuisant sous le soleil de plomb. Pourtant, les fondateurs ont œuvré avec la foi certaine que des terres fertiles y fleuriraient un jour. Yossi Vardi, l’un des premiers petits-fils de ces pionniers, né à Degania en 1948, dit à propos de son grand-père qu’il avait la capacité de voir l’avenir « dans chaque instant présent ». Cette formule exprime la vertu cardinale du bon kibboutznik : la transcendance du statu quo, cette foi infaillible dans le lendemain qui a porté d’abord les communes rurales juives, puis, après 1948, le tout nouvel État d’Israël.

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Article issu du magazine n°118 mars 2018 Lire en ligne
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