J’y pense et puis je lis / Mai 2023

Qui peut encore croire que la philosophie, telle qu’elle s’écrit aujourd’hui, ne concernerait pas nos existences sensibles, jusque dans l’éclaircissement de leurs plis les plus intimes ? Qui peut encore penser que le discours philosophique se contenterait d’honorer son passé en révisant les visages de sa tradition, comme si son histoire suffisait à faire son présent ? Beaucoup de ce qui s’écrit en ce moment donne raison à Michel Foucault, qui, au milieu des années 1960, définissait « le discours philosophique » comme une parole cherchant à « diagnostiquer le présent » et à « prophétiser l’instant ». À « mettre en lumière, soudain, cette heure grise où nous sommes », écrit-il dans un texte inédit, enfin publié (lire ci-contre). Cette heure grise de l’époque, analysée par Peter Sloterdijk, comment la penser, sinon en cherchant une parole conforme aux enjeux du temps dans toutes ses variations ? Le diagnostic du présent, c’est, par exemple, penser la crise écologique, affronter les affres existentielles et le sentiment du vide en soi, réfléchir à la notion d’obstacle, questionner les dangers ou les vertus de l’intelligence artificielle, réarticuler le commun et le distinct au cœur des revendications identitaires, repenser l’humanisme, ne pas renoncer à la promesse critique de la modernité, faire place aux disparus et aux exclus… Tous ces questionnements, ajustés à une réflexion en phase avec ce que nous vivons et ressentons, traversent les livres chroniqués ce mois-ci. Par-delà leurs approches conceptuelles multiples, un geste foucaldien les rassemble : ce souci du présent, signifier « en quoi notre présent est différent et absolument différent de tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire de notre passé ». C’est la tâche première, sans être la seule, du discours philosophique qui vibre aujourd’hui plus que jamais dans ce que nous lisons et par quoi nous nous libérons.